Le Travail des enfants aux Forges.
Posté par francesca7 le 12 octobre 2013
Les enfants sont également mis à contribution. Par un courrier du 19 décembre 1837, M. le ministre du Commerce demande la création de commissions d’arrondissement pour connaître la condition des enfants occupés dans les fabriques ; cette enquête est menée à l’aide d’un questionnaire en 10 points :
- Depuis quel âge les enfants sont-ils reçus dans les fabriques ?
- Quels sont les salaires qui leur sont attribués ?
- Quelle économie résulte, pour le fabricant, de la substitution des enfants à des ouvriers adultes ?
- Quelle est la durée de leur travail ?
- Sont-il s soumis à des travaux de nuit ?
- Les enfants des deux sexes sont-ils confondus dans les mêmes métiers ?
- Appartiennent-ils le plus souvent aux ouvriers eux-mêmes occupés dans les fabriques et dans quelle proportion ?
- Quel est leur degré d’instruction ? Suivent-ils les écoles ? les suivent-ils le jour, le soir ou le dimanche ?
- Quel est l’état de la moralité des enfants ?
- Sont-ils l’objet de mauvais traitements de la part des maîtres ou de ceux qui les emploient ?
Dans une lettre adressée au maire de Précy sous Thil, M. de Nansouty expose la situation en ces termes (ADCO – 10 M 10) :
« Forge de Maisonneuve, le 22 janvier 1838
Monsieur le Maire,
Mon fils, sachant l’intérêt que j’apporte, malheureusement presque en pure perte, aux choses qui ont rapport aux enfants employés dans nos forges et à leur progrès religieux et moral, a attendu mon retour pour me communiquer la lettre qui vous a été adressé à leur sujet le 18 Xè (décembre) dernier par M. le sous-préfet et m’a chargé d’y répondre.
L’ayant donc consulté et les employés sur les questions matérielle, j’ai l’honneur de vous transmettre la réponse aux divers chefs de cette lettre en ce qui regarde les enfants employés dans notre fabrique.
- On y reçoit les enfants à l’âge de 12 ou 13 ans et dorénavant autant qu’il se pourra après leur première communion.
- Le salaire des premières années de ces enfants est de 15 francs et selon qu’ils sont bons ouvriers et que leurs forces augmentent, ce salaire croît en proportion ainsi dans cette première condition un enfant de 16 ans peut avoir 20 ou 25 F ; 18, 30 ou 35 F ; à 20 ans cela peut aller à 40 F.
- Par le genre de travail de notre fabrique, c’est moins par économie que l’on emploi des enfants que parce que le travail qu’on leur donne (en majeur partie le redressement du fer) est plus approprié à leur taille où celle des hommes faits ne conviendrait pas et avec beaucoup de fatigue ne feraient pas aussi bien soit par taille trop grande ou défaut de l’agilité et de la légèreté de l’enfance pour les autres travaux accessoires.
- La durée de leur temps de travail est de 12 heures sur quoi il n’y a de travail réel que de 7 à 9 heures.
- Alternativement, ils ont une semaine de travail de jour et une semaine de travail de nuit.
- Les garçons seuls sont admis à l’atelier.
- Ils appartiennent le plus souvent aux ouvriers employés à la forge comme fils ou frères. Les deux tiers sont de cette classe et sur l’autre tiers, une bonne moitié se compose d’enfants trouvés (au sujet desquels je ferai plus bas une remarque). Si par cette proportion l’on entend celle des enfants (par rapport) aux ouvriers adultes, nos deux forges de Rosey et Maisonneuve se compensant, les enfants en forment à peu près moitié ; Maisonneuve a plus d’adultes et moins d’enfants, Rosey a plus d’enfants et moins d’adultes ; chacune selon la nature du travail de l’usine.
- Leur instruction dans l’état actuel ne peut être que faible et demeurer à ce qu’ils en apportent en entrant à l’usine, le travail empêchant presque toute suite à ce qu’un enfant de la campagne en peut posséder à 12 ans si les parents y ont mis quelque zèle, c’est-à-dire un peu de lecture et presque point d’écriture. Si les parents ont été pauvres ou négligents, elle est nulle et reste nulle car le travail étant d’une semaine, de 6 heures du matin à 6 heures du soir, le repas et le sommeil occupent la soirée et la nuit.
Si le travail est de nuit, il est plus fatigant, le repas en rentrant et le repos jusqu’à trois heures environ occupent ( ?) le temps où les écoles sont ouvertes. Quelques enfants avides d’apprendre ont essayé de suivre l’école la semaine de nuit, ils n’ont pu y résister longtemps. Ils n’apprenaient pas et ne se reposaient pas. Il faudrait une salle d’école et un maître consacrant ( ?) une heure et demie chaque soir avant d’entrer en tournée et autant à la suite pour ceux sortant de tournée, c’est à dire du travail. Cela a été essayé dette année durant quelques mois, à Rosey où le nombre d’enfants et même d’ouvriers et la bonne volonté du maître d’école à se rendre sur les lieux et à la forge même a facilité la chose. Si les enfants n’ont point fait leur première communion, la difficulté est extrême pour leur exactitude nécessaire aux instructions ; le travail en souffre et les compagnons des enfants qui s’absentent en sont surchargés. (Un enfant de 7 ans, fort à la vérité, vient en ce moment de remplacer un frère, trois fois par semaine pendant les deux heures de catéchisme). Il serait donc bien à propos que non seulement le maître d’école mais encore M. le curé, le dimanche, emploient ( ?) ces heures consacrées à l’instruction. Le curé, trouvant les enfants avec l’habitude de s’assembler le dimanche, continuerait une instruction forcément trop superficielle pour les matières morales et religieuses à la portée des enfants et qu’ils oublient trop vite. Cette réflexion et ce désir mènent naturellement à déplorer que les heures de travail et de repos privent également – facile de pouvoir avoir, le dimanche, à l’heure de la sortie et de la rentrée au travail, le sacrifice divin – les ouvriers adultes comme les enfants de toute espèce de prière et d’office religieux à moins d’un zèle rare et que l’on ne peut guère attendre d’ouvriers fatigués. Ils vivent ainsi sans culte et sans Dieu, devenant machines comme leurs mécaniques selon la remarque de l’auteur du Paupérisme. Que l’on me pardonne cette digression. La moralité des enfants et des ouvriers, leurs économies, en devant diminuer l’influence trop proche du cabaret, y gagneraient beaucoup.
- La moralité des enfants sans être ce que l’on désignerait ainsi que celle des adultes dont les discours influent sur les enfants qui les entourent au travail, est loin d’être nulle. Elle offre pour ainsi dire une moyenne. Un peu d’aide profiterait ( ?) beaucoup et quelques enfants ont offert des traits à remarquer.
- La nécessité force à placer les enfants sous l’autorité des chefs de four et maîtres ouvriers dont la grossièreté abuse quelque fois de sa force ; on ne peut pas dire cependant que cela aille jusqu’aux traitements absolument mauvais. Cet article est d’ailleurs l’objet de la surveillance des employés ; par exemple il y a peu, qu’ici, un maître fut mois à l’amende pour avoir corrigé un enfant en lui versant ( ? illisible) au lieu d’au sur le corps. Un autre, à Rosey, en encouru 14 F d’amende, c’est à dire un tiers ou un quart de son gage mensuel pour en avoir frappé un jusqu’à le rendre malade un jour ou deux. Une femme ou une mère réclamerait des punitions plus fortes, les employés les jugent suffisantes. L’autorité peut décider ;
A Maisonneuve, le nombre des enfants employés à l’usine est de 16.
A Rosey, le 25.
Généralement, ils sont gais, forts et bien portants et si les parents les nourrissent bien comme le permet le gage même le plus faible, ils ne se plaignent ni n’ont l’air de supporter un travail au-dessus de leurs forces. Généralement leur travail paraît leur plaire. Mais qui penserait ( ?) à une plainte contre l’avidité des nourrices à qui sont confiés les enfants trouvés. J’ai commencé à m’entendre à ce sujet avec M. le Préposé à leur soin résidant à Saulieu, mais la difficulté est grande pour s’opposer à l’abus. Je crois le gage de 15 F par mois suffisant pour entretenir (avec économie) un enfant de 12 à 16 ans placé en sus dans une famille établie et quelque peu nombreuse. Lorsque le gage croît et arrive à 25 F par exemple, il doit être possible de mettre quelque chose à la Caisse d’Epargne pour le jeune homme quoiqu’encore enfant et soumis à la puissance paternelle ou bien de son nourricier ; presque toujours celui-ci abuse et traite l’enfant comme un bétail qui lui rapport et sur lequel il fait le plus de gain possible. Ile nourrit parce qu’il lui faut bien des jours pour rapporter son mois mais il le vêt et le raccommode le moins qu’il peut.
En ce moment, à Rosey un enfant trouvé, modèle de labeur et d’intelligence, âgé de 18 ans, petit et délicat, gagne jusqu’à 30 F par mois. Le nourricier le laisse en haillons prétendant que l’enfant mange ses trente francs et lui coût au-dessus. Et à côté de ce modèle d’activité, l’enfant, modèle de désintéressement, refuse de quitter celui qui l’a nourri petit et l’a pris comme enfant et préfère lui abandonner son gain plutôt que d’économiser ailleurs.
En vous priant, Monsieur le maire d’excuser cette lettre trop longue et qui me laisse pourtant encore le désir de vous entretenir ainsi que M. le sous-préfet, je vous prie de recevoir l’expression de ma plus haute considération.
Publié dans ARTISANAT FRANCAIS, Bourgogne, HUMEUR DES ANCETRES | Pas de Commentaire »