La plus vieille auberge de France, à Rouen
Posté par francesca7 le 5 octobre 2013
La Couronne, plus vieille auberge
de France, à Rouen
(Source : Le Journal du Dimanche)
A Rouen, la foule est en larmes sur la place du Vieux-Marché, ce 30 mai 1431. Les clients de La Couronne, la plus vieille auberge de France, seraient venus assister à l’exécution de Jeanne d’Arc.
L’histoire repasse parfois les plats. En ce début d’été normand, Patricia, Morgane, Françoise et Sylvain ont tous quatre le regard tourné vers la place du Vieux-Marché, à Rouen. C’est l’intérêt d’être assis près de la fenêtre : jouir d’une table avec vue sur le passé. « On était en train d’admirer l’architecture. On se disait qu’un jour de 1431 Jeanne d’Arc avait été brûlée vive juste là, sous nos yeux… »
L’auberge de La Couronne se targue d’être la plus vieille de France. Ses colombages en chêne ornés de géraniums et son pignon pointu ont beau ne pas remonter au Moyen Âge, les propriétaires soutiennent qu’au XVesiècle « un manoir » s’élevait déjà à cet endroit. Dans les documents déterrés aux archives départementales, figure le nom du « tavernier », Richard Baudry, qui payait chaque année une rente de 60 sols au couvent voisin. « Cardinot », comme on le surnommait, a sans doute assisté au martyre de la Pucelle d’Orléans depuis son commerce. À l’époque, la place n’a pas encore sa forme actuelle de trapèze. C’est un triangle planté de deux églises et d’un marché animé. « Le déménagement du commerce de gros, à la fin des années 1970, a permis de mettre au jour l’emplacement du bûcher », rappelle Olivier Chaline (La Place du Vieux-Marché et le martyre de Jeanne d’Arc, Éd. Charles Corlet), professeur d’histoire moderne à Paris-IV et habitant de Rouen.
« Venir comme spectateur à une exécution : du voyeurisme »
En ce début juillet, Patricia fête son anniversaire à l’auberge de La Couronne. Elle n’a pas choisi l’établissement au hasard : « C’est un des lieux les plus connus de Rouen. Les gens s’y retrouvent pour les grandes occasions. » À 40 ans, elle s’attendrit sur le destin foudroyé de Jeanne d’Arc. « Quand je pense à tout ce qu’elle avait accompli quand elle est morte, si jeune… » Sa mère, Françoise, frissonne en imaginant les buveurs serrés dans la taverne après avoir assisté au supplice : « Venir comme spectateur à une exécution, quelle inhumanité ! Le voyeurisme existait déjà.. »
Ce 30 mai 1431, la jeune intrépide, née en 1412 à Domrémy, sur la frontière lorraine du royaume, se confesse et reçoit la communion avant d’être extraite de sa prison de Rouen. Cette fille de laboureurs a été capturée l’année précédente à Compiègne par les Bourguignons et livrée aux Anglais. À Rouen, un tribunal ecclésiastique la condamne comme hérétique, au cours d’un très long procès, où le politique se mêle au religieux.
« Il s’agissait de faire juger comme sorcière celle qui incarnait la résistance à la dynastie anglaise et proclamait l’appui divin à Charles VII », note l’historien Olivier Chaline. À 9 heures du matin, Jeanne est déjà sur la place du Vieux-Marché. « Les sources nous disent qu’il y avait énormément de monde. Pour les Rouennais, Jeanne d’Arc n’était pas l’héroïne que nous admirons. Elle les dérangeait. Après un siège terrible, la ville avait été prise par les Anglais. Au moment du procès, l’heure est à la normalisation. Les affaires ont repris et voilà que sa présence vient rallumer la guerre. » Philippe Contamine, professeur d’histoire à la Sorbonne, égratigne à dessein l’image d’Épinal d’une cité tremblant pour la Pucelle.
Dans son dernier ouvrage, ce spécialiste du Moyen Âge chronique le dernier jour de la condamnée. Selon lui, la foule ne s’oppose pas à la sentence : « Il faut imaginer un mélange de curiosité et de pitié. Sans doute les Rouennais considéraient-ils que sa fin tragique était légitime. On leur avait dit qu’elle avait reconnu ses erreurs, qu’elle était coupable, hérétique. Elle avait été jugée selon les formes. Elle devait, selon l’habitude du temps, être livrée au feu ». Le bûcher où on l’a placée est plus élevé que de coutume. Pour mieux édifier les badauds? Au premier rang, les dignitaires religieux, juges et officiers royaux s’entassent sur deux échafauds. Une fois la sentence lue, la jeune fille est livrée à son bourreau, Geoffroy Thérage. « On dit que tout le monde pleurait, précise Philippe Contamine. Certains n’ont pas pu rester jusqu’au bout tellement la scène était insupportable. Ce n’est pas incompatible avec le fait qu’on ne s’oppose pas au jugement. Dans un système de chrétienté, où la destinée éternelle de Jeanne était en jeu, les gens pouvaient espérer qu’elle serait sauvée. »
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