Comment les serpents sont devenus venimeux
Posté par francesca7 le 29 septembre 2013
Au temps où le monde était encore jeune et que toutes choses étaient différentes, la terre ne connaissait pas la nuit. Le soleil brillait constamment dans le ciel et bêtes et gens ne pouvaient pas dormir. Si, par hasard, ils fermaient l’œil, tout de suite l’éclat et la chaleur du soleil les réveillaient. Seuls, les serpents se trouvaient bien et étaient toujours frais et dispos. Pour la bonne raison que c’étaient eux qui détenaient la nuit et les ténèbres.
Mais un jour, cela prit fin. Quand les Indiens apprirent que les serpents recelaient la nuit et les ténèbres, ils envoyèrent leur plus grand chef au chef suprême des serpents pour le prier de leur donner au moins un petit peu de la nuit et des ténèbres.
Le grand chef des Indiens s’enfonça donc loin au cœur de la forêt, là, où le grand chef des serpents avait sa résidence. Le grand chef des serpents l’accueillit fort peu civilement :
« Qui ose troubler ma quiétude ? »
« Je suis le chef de tous les Indiens, répondit le visiteur, et je viens te demander un peu de nuit et de ténèbres. En échange, je t’offre notre meilleur arc et des flèches. »
Mais le chef des serpents n’avait que faire d’un arc et des flèches :
« Comment m’en servirais-je, je n’ai pas de mains ! Donne-moi autre chose ! »
Le grand chef des Indiens s’en retourna donc bredouille. Il convoqua le Grand Conseil, raconta ce qui était arrivé et ils décidèrent d’offrir au grand chef des serpents une crécelle. Un grand chef avait toujours besoin d’une crécelle pour présider aux danses rituelles.
Donc, le chef des Indiens s’enfonça pour la seconde fois au cœur de la forêt. Le chef des serpents attendait sa visite. Quand il vit la crécelle, il hocha la tête :
« C’est une bien belle crécelle, mais qu’en pourrais-je faire, moi qui n’ai pas de mains ? »
« Si tu veux, proposa le chef des Indiens, je peux te l’attacher à la queue. »
Il la lui attacha effectivement. Le grand chef des serpents agita sa queue et la crécelle grinça, quoique assez faiblement. Le grand serpent fut assez content :
« Ce n’est pas exactement ce que j’aurais souhaité, mais je puis quand même te donner un peu de nuit et de ténèbres. »
Et il fit apporter au chef indien un petit sac de cuir.
« Merci, grand chef, dit celui-ci, pour ce quelque peu de nuit et de ténèbres. Mais dis-moi ce que tu voudrais pour nous donner la nuit tout entière et toutes les ténèbres ? »
« La nuit entière et toutes les ténèbres, cela vaut un grand prix, reprit le grand serpent. Une crécelle n’y suffit pas. Il faudrait m’apporter une grande cruche de ce poison dont vous enduisez vos flèches. »
Le grand chef indien ne voyait pas pourquoi les serpents avaient besoin de ce poison, mais il ne posa pas de question. Il emporta son petit sac et l’ouvrit dès qu’il fut arrivé au village. La nuit et les ténèbres se répandirent sur le monde et tous les Indiens goûtèrent un délicieux repos. Mais il fut de courte durée. Le sac ne contenait que très peu de nuit et de ténèbres et, bientôt, la lumière du soleil vint les réveiller. Et tout recommença, le jour était long et la nuit bien courte. Dès que bêtes et gens avaient goûté un court instant de sommeil, le soleil ramenait un nouveau jour. Cela ne faisait pas le compte des Indiens qui convoquèrent le Grand Conseil et y décidèrent de recueillir le poison demandé par les serpents. Ce fut une longue tâche car ils ne recueillaient le poison que goutte à goutte, mais ils parvinrent enfin à en emplir une grande cruche. Et le grand chef des Indiens s’enfonça pour la troisième fois au cœur de la forêt. Le grand serpent attendait sa visite et il dit :
« Je savais bien que tu reviendrais. Je t’ai fait préparer dans ce sac une longue nuit et les ténèbres. Cela vous suffira sûrement. »
Le grand chef des Indiens remit la cruche de poison au grand serpent, prit le sac et dit :
« Merci, grand serpent. Mais je voudrais savoir pourquoi tu as besoin de ce poison. »
« Parce que, répondit le grand serpent, la plupart des miens sont petits et faibles. Tout le monde les persécute. Quand nous aurons du poison, nous pourrons nous défendre. Va, maintenant, mais n’ouvre pas ce sac avant d’être arrivé dans ton village. Si tu le faisais trop tôt, les ténèbres envahiraient le monde avant que j’aie pu répartir convenablement le poison entre tous les serpents. Et il n’en résulterait rien de bon, ni pour les tiens, ni pour les miens ! »
Le grand chef indien promit de ne pas ouvrir son sac avant d’être arrivé chez lui et s’en fut, tout à fait satisfait, vers son village. Mais sur sa route, il rencontra le perroquet qui se mit à crier à tous les échos :
« Le grand chef indien revient de chez les serpents, il rapporte dans son sac la longue nuit et les ténèbres ! »
Aux cris du perroquet, toutes les bêtes de la forêt accoururent et supplièrent le grand chef d’ouvrir tout de suite son sac pour qu’en sortent la longue nuit et les ténèbres.
Le grand chef essaya de les raisonner :
« Attendez un moment que j’aie rejoint mon village. Je l’ai promis au grand serpent ! »
Mais les animaux ne voulurent pas l’écouter, ils ne voulaient pas attendre une minute de plus, ils lui arrachèrent son sac des mains et l’ouvrirent. Immédiatement le monde ne fut plus que nuit et ténèbres. C’était juste le moment que le grand serpent avait choisi pour distribuer le poison aux siens. Mais dans la nuit profonde, il ne voyait plus ce qu’il faisait, les serpents se bousculèrent, renversèrent la cruche et le poison s’en échappa. Si bien que certains serpents s’emparèrent d’une grande quantité de poison, d’autres en eurent peu et d’autres encore n’en eurent pas du tout.
Désormais, il y eut donc des serpents venimeux et d’autres qui ne l’étaient pas. La famille du grand chef faisait partie des serpents venimeux, mais tout le monde pouvait s’en garder car ils portaient tous une crécelle à la queue.
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