Fragments de Alcée de Mytilène
Posté par francesca7 le 17 septembre 2013
Jupiter nous inonde des pluies glaciales par torrents, le ciel est obscurci par tous les frimas, bientôt l’hiver enchaînera le cours des fleuves impétueux. Chassons ce triste hiver en faisant briller nos foyers d’une flamme étincelante, en remplissant nos coupes du vin le plus délicieux.
II.
Buvons ! buvons ! Pourquoi attendre l’heure des flambeaux, l’éclat du jour ne nous suffit-il pas ? Bacchus, le joyeux fils de Jupiter et de Sémélé, nous a donné le vin pour noyer nos peines dans l’oubli. Emplissez cette coupe, emplissez-la jusqu’au bord; inondez votre cœur de ce doux nectar : voici l’heure où va paraître l’astre qui dévore les champs. Nous sommes au temps le plus enflammé de l’année. Nos prairies dévorées par la soif invoquent la pluie. C’est l’instant de nous enivrer : c’est l’instant de forcer les plus sobres à boire à longs traits. Amis, plantons, plantons la vigne de préférence à tout autre arbre.
III.
Pourquoi laisser notre âme se courber sous le poids des chagrins. L’homme qui fléchit sous le malheur n’est plus un homme. Dieu puissant de l’Inde, toi seul peux relever celui qui souffre en le plongeant dans les délices de l’ivresse.
IV.
Là roule sourdement le flot impétueux; plus loin retombe un autre flot qui s’élance avec fureur. Les vagues déchaînées nous environnent de toutes parts, le noir navire qui nous porte crie et se rompt sous le souffle impétueux des enfants de Borée. Nous ne reposons plus que sur la mer orageuse. C’est d’elle que dépend notre ruine. Toutes nos voiles brisées pendant l’orage ont disparu. Les flancs de notre navire sont fracassés: nous ne pouvons plus jeter l’ancre.
XI.
Je porterai mon glaive sous une branche de myrte; j’imiterai Harmodius et Aristogiton, qui immolèrent le tyran et établirent dans Athènes l’égalité des lois. O généreux Harmodius! en quittant la terre tu n’es pas mort : tu vis toujours dans ces îles bienheureuses où se trouvent Achille aux pieds légers et l’intrépide fils de Tydée. Oui je porterai mon glaive sous une branche de myrte comme le firent Harmodius et Aristogiton lorsqu’ils tuèrent le tyran Hipparque dans le temple des Panathénées. Que votre gloire soit éternelle dans le monde, cher Aristogiton ! parce que vous avez tué le tyran et établi dans Athènes l’égalité des lois.
XIV.
Quand vous êtes au port et que la mer immense semble dans sa colère battre les cieux, vous pouvez alors examiner de sang-froid si vous avez la force de braver ces dangers, si vous pouvez espérer de les éviter. Mais une fois lancé sur les flots, vous ne pouvez plus revenir : il faut voguer et suivre le vent qui vous entraîne.
Alcée de Mytilène est un poète grec de l’époque archaïque né vers l’an 630 av. J.-C
Représentant de la poésie lyrique monodique, le Canon alexandrin voit en Alcée le second des poètes lyriques grecs. Contemporain de Sapphô, il en fut le rival tout en étant amoureux, il est mort vers 580 av. J.-C. sa famille fut activement engagée dans la politique locale de sa ville natale. Les membres de sa famille, partisane des aristocrates, appartenaient à l’opposition contre les tyrans régnant : ses frères Cicis, chef du parti aristocratique, et Anitménide tuèrent le tyran Mélanchros de Mytilène, condamnant sa famille à l’exil. Il a alors beaucoup voyagé, visitant l’Égypte et la Palestine.
Ses poèmes ne nous sont transmis que partiellement : il s’agit d’hymnes, de chants politiques et belliqueux, de louanges du vin et de la bonne table, de chants d’amour.
Un aperçu des hymnes est possible grâce à une paraphrase de son Hymne à Apollon par le sophiste Himérius (ive siècle de l’ère chrétienne). Mieux encore, un papyrus a permis la conservation de la moitié de l’Hymne aux Dioscures. Il s’agit d’un hymne « clétique » ( « qui sert à appeler »), c’est-à-dire invoquant la présence des dieux qu’il chante.
Les hymnes guerriers, dits aussi « séditieux » ( c’est-à-dire concernant une guerre civile) ont été mieux conservés. Il s’agit de chants sur les guerres menées par Mytilène, en particulier contre les Babyloniens.
Enfin, les poèmes politiques déplorent la fin de l’aristocratie et l’émergence d’un monde gouverné par l’argent. Il s’attaque aux tyrans qui règnent sur son île, en particulier à Pittacos, qui a pourtant été compté comme l’un des sept sages : il attaque sa basse extraction et l’accuse de traîtrise. Sa verve en la matière, et son habileté à manier l’invective seront ensuite admirées parDenys d’Halicarnasse.
La frontière est parfois difficile à établir entre les poèmes politiques et les chansons de table. En effet, Alcée boit parfois à la mort du tyran Myrtylos, et en profite ailleurs pour attaquer Pittacos. Néanmoins, Alcée se montre très varié dans les thèmes de ses chants de banquet : tout ou presque lui est prétexte à boire. Certains de ces chansons font également allusion à l’amour : il loue ainsi le « charmant Ménon » ou encore, selon Horace(Odes, 1, 32, 10), « le beau Lycos aux cheveux et aux yeux noirs », ainsi que bien d’autres jeunes gens.
La langue d’Alcée est le dialecte éolien, et son vocabulaire est parsemé de formations homériques. Il est à l’origine de la strophe alcaïque, qui sera utilisée notamment par Horace.
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