L’âne qui parcourait les rues
Posté par francesca7 le 15 septembre 2013
Promené dans tout Paris sur une carriole par le journaliste satirique et anarchiste Zo d’Axa, l’âne termine embarqué par les flics.
le 8 mai 1898.
Le dimanche 8 mai 1898, jour des élections législatives, les Parisiens ont la surprise de croiser dans la rue un âne blanc transporté sur une carriole tirée par une bande d’olibrius. Ils appellent les Parisiens à voter Nul. C’est le nom de l’âne ! Cette idée de vote loufoque, voire surréaliste, est née dans l’imagination fertile du journaliste satirique anarchiste Zo d’Axa. Derrière ce curieux pseudonyme se cache le descendant du célèbre navigateur Lapérouse. Dans son journal, La Feuille, Alphonse Galaup de Lapérouse, dit Zo, écrit : « Chers électeurs, finissons-en. Votez pour eux. L’âne Nul, dont les ruades sont plus françaises que les braiments patriotards. » Ce provocateur veut ainsi réconcilier les abstentionnistes avec les urnes. Enfin l’occasion de « voter blanc, de voter Nul, tout en se faisant entendre ».
« Lentement, l’âne parcourait les rues »
Zo explique sa démarche dans une série d’articles : « Nous sommes allés, dans sa retraite, trouver un maître auquel personne n’avait songé, un modeste dont personne pourtant ne niera la signification précise. Aujourd’hui, l’honneur m’échoit de présenter ce maître au peuple. On l’appelle maître Aliboron. Ceci soit pris en bonne part. L’âne pour lequel je sollicite le suffrage de mes concitoyens est un compère des plus charmants, un âne loyal et bien ferré. Poil soyeux et fin jarret, belle voix. »
Le jour du scrutin, vers 10 heures du matin, voilà donc Zo et Nul qui dévalent la colline de Montmartre, accompagnés par une poignée de supporteurs. NKM qui se dit qu’il y a certainement là quelques voix à glaner a voulu être de la partie. L’âne blanc est porté sur « un char de triomphe et traîné par des électeurs ». Imaginons la stupeur des Parisiens qui croisent ce curieux équipage électoral. Dans sa revue, le journaliste anar fait un compte rendu détaillé et lyrique de cette traversée de Paris.
« Lentement, l’âne parcourait les rues. Sur son passage, les murailles se couvraient d’affiches que placardaient des membres de son comité, tandis que d’autres distribuaient ses proclamations à la foule : Réfléchissez, chers citoyens. Vous savez que vos élus vous trompent, vous ont trompés, vous tromperont – et pourtant vous allez voter… Votez donc pour moi ! Nommez l’Âne !… On n’est pas plus bête que vous. Cette franchise, un peu brutale, n’était pas du goût de tout le monde. »
Joyeux chahut
Effectivement, la plupart des passants ne goûtent pas le canular. Ils crient : « On nous insulte ! », « On ridiculise le suffrage universel », « Sale Juif ! » Rachida brait de colère. Mais d’autres se tordent de rire et acclament Aliboron. Des femmes lui jettent des fleurs, des hommes agitent leur chapeau. Le cortège poursuit son chemin vers le Quartier latin. Il arrive, enfin, devant le Sénat, longe le jardin du Luxembourg. La foule s’amasse autour du candidat pour l’acclamer dans un joyeux chahut. À la terrasse des cafés, les étudiants applaudissent à tout rompre. On s’arrache les tracts distribués par les militants. De jeunes gens se bousculent pour pousser le char.
Vers 15 heures, la police décide d’intervenir. En bas du boulevard Saint-Michel, les sergents de ville font barrage. Leur chef somme Zo et sa troupe de conduire Nul au plus proche commissariat. Mais on n’arrête pas la révolution en marche. Le cortège, poussé par une foule en délire, brise le barrage et traverse la Seine. Il fait une halte devant le palais de justice d’où, note Zo d’Axa, « les députés, les chéquards, tous les grands voleurs sortent libres ». Rien n’a changé… C’est le moment choisi par les agents pour passer à l’attaque. Ils s’emparent des brancards, enfilent le licol et se mettent à remorquer le char. Le comité de soutien les laisse faire.
« Tel un vulgaire politicien, l’animal avait mal tourné. La police le remorquait, l’Autorité guidait sa route… Dès cet instant, Nul n’était qu’un candidat officiel ! Ses amis ne le connaissaient plus. La porte de la préfecture ouvrait ses larges battants – et l’âne entra comme chez lui », conclut le journaliste. Ainsi s’achève la campagne électorale de l’âne blanc Nul.
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