Des HOMMES dans la POLICE du 18è siècle
Posté par francesca7 le 11 septembre 2013
C’est une masse de corruption, que la police divise et partage en deux : de l’une, elle en fait des espions, des mouchards ; de l’autre, des satellites, des exempts, qu’elle lâche ensuite contre les filous, les escrocs, les voleurs, etc., à peu près comme le chasseur ameute les chiens contre les renards et les loups.
Les espions ont d’autres espions à leurs trousses, qui les surveillent, et qui voient s’ils font leur devoir. Tous s’accusent réciproquement, et se dévorent entre eux pour le gain le plus vil. C’est de cette épouvantable lie que naît l’ordre public. On les traite rigoureusement, quand ils abusent l’oeil du magistrat. Tel est l’ordre admirable qui règne dans Paris. Un homme soupçonné ou désigné est éclairé de si près, que ses moindres démarches sont connues, jusqu’au moment qu’il convient de l’arrêter. Le signalement qu’on fait de l’homme, est un véritable portrait auquel il est impossible de se méprendre ; et l’art de décrire ainsi la figure avec la parole, est poussé si loin, que le meilleur écrivain, en y réfléchissant beaucoup, n’y saurait rien ajouter, ni se servir d’autres expressions.
Les Thésées de la police courent toutes les nuits pour purger la ville de brigands ; et l’on peut dire que les lions, les ours, les tigres sont enchaînés par l’ordre politique. Il y a ensuite les espions de cour, les espions de ville, les espions de lit, les espions de rue, les espions de filles, les espions de beaux esprits ; on les appelle tous du nom de mouchards, nom de famille du premier espion de la cour de France. Les hommes de qualité font aujourd’hui le métier d’espions ; la plupart s’appellent M. le baron, M. le comte, M. le marquis.
Il fut un temps, sous Louis XV, où les espions étaient si multipliés, qu’il était défendu à des amis qui se réunissaient ensemble, d’épancher mutuellement leurs coeurs sur des intérêts qui les affectaient vivement. L’inquisition ministérielle avait mis ses sentinelles à la porte de toutes les salles, et des écouteurs dans tous les cabinets ; on punissait, comme des complots dangereux, des confidences naïves, faites par des amis à des amis, et destinées à mourir dans le lieu même qui les avait reçues.
Ces recherches odieuses empoisonnaient la vie sociale, privaient les hommes des plaisirs les plus innocents, et transformaient les citoyens en ennemis qui tremblaient de s’ouvrir l’un à l’autre. Tout homme attaché à la police, sous quelque dénomination que ce puisse être, n’est plus admis dans la bonne société, et l’on a raison. Le quart des domestiques servent d’espions, et les secrets des familles, que l’on croit les plus cachés, parviennent à la connaissance des intéressés.
Les ministres ont leurs espions à eux, séparément de ceux de la police, et les soudoyent : ce sont les plus dangereux de tous, parce qu’ils sont moins suspects que les autres, et qu’il est plus difficile de les reconnaître. Les ministres savent par ce moyen tout ce qu’on dit d’eux ; mais ils n’en profitent guère. Ils sont plus attentifs à ruiner leurs ennemis, à barrer leurs adversaires, qu’à tirer un sage parti des libres et naïfs avertissements que la multitude leur envoie ; car on s’explique toujours assez librement sur le compte des ministres : on ne porte véritablement de respect qu’à la personne des princes.
Mais les secrets des cours n’échappent point par les espions ; ils s’échappent à l’aide de certaines gens, sur qui l’on n’a aucune défiance ; ainsi les vaisseaux les mieux construits font eau par une fente imperceptible, qu’on ne saurait découvrir. Ce qui intéresse dans les cours, et surtout dans la nôtre, c’est qu’il y a un degré d’obscurité, répandu sur les opérations. On veut pénétrer ce qui se cache ; on cherche à savoir jusqu’à ce qu’on connaisse ; c’est ainsi que la machine la plus ingénieuse ne conserve son plus haut prix que jusqu’à ce qu’on ait vu les ressorts qui la mettent en action. Nous ne nous attachons fortement qu’à ce qui ne se laisse pénétrer qu’avec peine. Avec le temps, les choses les plus mystérieuses prennent un caractère de publicité. La langue redira infailliblement ce que l’oeil a vu, et même ce qu’il aura soupçonné.
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