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  • > Archives pour le Lundi 26 août 2013

Les premières gazettes

Posté par francesca7 le 26 août 2013

Premiers journaux et premières
grandes figures de la presse

(Extrait de « Le Petit Parisien », paru en 1911)

Il y a un siècle, Jean Frollo, du journal Le Petit Parisien, évoquait les premières grandes figures d’une presse ayant su se rendre indispensable aux hommes en répondant à leur curiosité universelle, et gouvernant désormais, selon lui, l’opinion

Nous ne nous imaginons pas facilement une époque où les gens pouvaient vivre sans journaux, sans trouver à leur réveil la feuille quotidienne racontant les événements de la veille, le crime, la catastrophe, la belle action, le procès scandaleux, la pièce nouvelle. Le besoin de tout savoir est devenu de plus en plus impérieux chez nous, et si nous n’arrêtons pas les passants, au coin des chemins, à l’exemple de nos ancêtres les Gaulois, c’est que la presse est là, qui remplace avantageusement tous les passants du monde.

Dans les grandes villes, et particulièrement à Paris, rien n’est plus curieux que le spectacle de ceux qui, dès la première heure, s’en vont en lisant leur journal. On sent un désir de se renseigner l’emportant, à ce moment-là, sur tout autre souci. La curiosité est universelle, et il n’y a guère que la pluie qui soit capable d’obliger les gens à suivre leur chemin sans parcourir la gazette qu’ils préfèrent. Encore une fois, devant cette passion générale pour la feuille imprimée, on se demande comment pouvaient faire les Français, au temps où les journaux n’existaient pas, et où, cependant, l’appétit du nouveau n’était pas moins vif qu’aujourd’hui.

Les premières gazettes dans ARTISANAT FRANCAIS images-101

On s’en passait, voilà tout ! La presse n’apparut qu’assez tard dans notre pays. La Gazette de France date de 1631. Trente-quatre ans plus tard naquit le Journal des Savants, qui eut pendant longtemps une vie particulière et indépendante, jusqu’au jour où le chancelier de Pontchartrain – c’était en 1701 – lui donna une rédaction officielle, composée d’hommes compétents, capables d’exposer, en connaissance de cause, les diverses matières traitées dans cet organe, aujourd’hui encore si curieux à consulter. Mais la Gazette de France et leJournal des Savants ne convenaient pas à tout le monde. Leur langage était trop sérieux et trop grave. Il fallait offrir autre chose au public. Ce fut alors que Donneau de Visé, habile faiseur, créa, en 1672, leMercure Galant : c’est à la fois le prototype de nos magazines et de ce que nous appelons la petite presse. On sait comment La Bruyère le jugeait : « Le Mercure Galant, écrivait-il, est immédiatement au-dessous de rien ».

Sévérité vraiment excessive ; dans la collection du Mercure, les chercheurs aujourd’hui peuvent trouver à glaner. D’ailleurs, les contemporains ne partageaient pas l’opinion du moraliste, et le journal de Donneau de Visé possédait une grande quantité de fidèles lecteurs, et n’avait point vu décroître sa faveur, lorsque le célèbre Desfontaines, tant honni par Voltaire, créa en 1730 le Nouvelliste du Parnasse, de compagnie avec l’abbé Granet.

« A ce journal, dit M. Pellisson, ce n’est pas la fadeur qu’on saurait reprocher. Auteurs et éditeurs de ce temps-là le jugeaient au contraire trop agressif et firent si bien qu’ils en obtinrent la suppression au bout de deux années. Plus piquant, plus intéressant que ses devanciers, Desfontaines n’a pourtant pas été un journaliste supérieur. Passons condamnation sur ses mœurs fangeuses, sur sa cynique vénalité ; reconnaissons qu’il ne fut pas l’affreux cuistre que Voltaire a caricaturé. »

Enfin, un an après la mort du Nouvelliste du Parnasse, parut un autre journal, qui s’appelait lePour et le Contre. Il n’aurait maintenant aucun succès, car nous sommes dans un temps où, sur toutes les questions, il faut être pour ou contre, mais alors on l’accueillit de la meilleure façon, et il aurait probablement fait une brillante carrière, si son fondateur n’avait pas été un homme trop occupé.

Ce fondateur n’était autre que le célèbre abbé Prévost. On ne saurait faire le compte des écrits de cet homme de lettres, qui ne fut battu, sous le rapport de la fécondité, que par l’auteur de Monsieur Nicolas, l’étonnant Restif de la Bretonne. Plus de cent volumes, y compris d’immenses traductions, sont sortis de la plume de l’abbé Prévost, à commencer par une colossale Histoire générale des voyages, dont j’aime à regarder parfois les cartes naïves.

Eh bien, rien ou presque rien n’est resté de cette gigantesque production, rien, sauf un petit livre, qui demeurera immortel, qu’on lit depuis bientôt deux cents ans, et qu’on lira encore dans dix siècles, comme nous lisons toujours Daphnis et Chloé. C’est l’Histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux, le plus joli des romans vrais. Qui sait le nom du journal de l’abbé Prévost ? Qui s’avisera jamais d’aller chercher le Pour et le Contre dans la poussière des bibliothèques ?

Le Pour et le Contre, négligé par son directeur, n’eut qu’une vie éphémère, au contraire de laGazette et du Mercure, qui furent de fructueuses entreprises. Renaudot déclarait au cardinal Fleury que la Gazette de France lui avait valu, pendant vingt ans, 12000 livres de rente, toutes les années. Ce chiffre, il est vrai, baissa dans la suite ; mais le directeur de la Gazette ne cessa pas d’avoir un émolument fort convenable. A la date du 19 février 1749, voici ce qu’écrit le duc de Luynes : « J’appris hier par M. de Verneuil qu’il a vendu ces jours-ci le privilège de laGazette de France ; il m’a dit que cela valait 8000 livres de rentes ; il l’a vendu 100000 livres à M. le président Orillon. »

Le Mercure donnait des résultats encore plus élevés, et vraiment remarquables, si l’on tient compte de la différence dans la valeur de l’argent. « M. Davoust, écrit Collé en 1754, m’a assuré que tous frais faits, le produit net montait à 21000 ou 22000 livres » ; et M. Davoust le sait bien, puisque depuis deux ou trois ans c’est lui qui a eu la bonté de conduire cette affaire pour La Bruyère. La Harpe affirme que pendant un temps assez long, l’Année littéraire rapporta à Fréron plus de 20000 livres par an. Au dire de Brissot, Linguet gagna au moins 100000 francs avec ses Annales.

Il y eut la Gazette littéraire, puis le Journal encyclopédique, auquel collabora Voltaire, le journalisme fait homme, comme l’a dit M. Lanson, cité par M. Pellisson : « Il a toutes les qualités, avec beaucoup des défauts du journaliste : par-dessus tout la voix qui porte, qui fixe l’attention au travers de la clameur confuse de la vie. Ce n’est pas assez de dire que Voltaire est un journaliste ; il est, à lui seul, un journal, un grand journal. Il fait tout, articles sérieux, reportage, échos, variétés, calembours ; il brasse et mêle tout cela dans ses petits écrits. Toutes les fonctions de vulgarisation, de propagande, de polémique et d’information sont rassemblées indivises entre ses mains. » On n’est donc pas surpris d’apprendre qu’il eut un moment l’intention d’avoir, lui aussi, son journal. Que d’esprit il y eût dépensé !

Enfin, à mesure que les années s’écoulaient, la presse se développait, grandissait, se multipliait, et brusquement, avec la Révolution, descendant des hauteurs, cessant d’être une sorte de délicat divertissement pour les savants, les lettrés et les gens riches, elle se fit populaire et vint trouver la foule chez elle, dans la rue, à l’atelier, au logis, souvent violente, injuste, cruelle, transportant toujours avec elle une petite lueur de vérité, qui éclairait le chemin et guidait les consciences. Maintenant, c’est la grande force publique, contre laquelle aucun attentat n’est plus possible. Elle domine le monde et gouverne l’opinion. Mais ceci ne doit point la rendre oublieuse du passé, et il est bon qu’elle accorde un souvenir respectueux à ceux qui furent ses créateurs.

Publié dans ARTISANAT FRANCAIS, AUX SIECLES DERNIERS | Pas de Commentaire »

Le maquignon par Albert Dubuisson

Posté par francesca7 le 26 août 2013

 

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Le maquignon par Albert Dubuisson dans ARTISANAT FRANCAIS telechargement-6

BIEN que notre époque ait donné naissance à une effrayante quantité de floueurs de toute espèce, et qu’elle ne paraisse pas s’arrêter dans cette voie éminemment progressive, elle ne peut cependant usurper la gloire d’avoir enfanté le maquignon. Le maquignon est né depuis longtemps et a eu l’avantage très-mérité de servir de modèle aux plus fins exploiteurs de la crédulité française et surtout parisienne. Mais quoiqu’il ne sorte pas du grand moule des Roberts-Macaires du dix-neuvième siècle, ce n’est pas à dire pour cela qu’il prétende leur être inférieur. Il les vaut tous ; il sourit de pitié en songeant aux roueries à lui connues qu’on donne pour invention récente, et vient merveilleusement confirmer cet adage, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil, et que la moitié de la société a été de tout temps destinée à être dupée par l’autre. Le maquignon s’acquitte de cette dernière tâche avec infiniment d’esprit et d’agrément. C’est lui qui a employé le premier tous ces artifices ingénieux avec lesquels il est d’usage, j’allais dire de bon ton, de berner, dans toutes les classes et dans tous les états, la bonhomie du peuple le plus spirituel de l’univers. Il est adroit, insinuant, grand parleur, d’un aplomb, d’une assurance imperturbables : vous vous défiez de lui, vous vous tenez sur la réserve, car vous connaissez ses ruses, et cependant il vous prend toujours au même piége, sans cesse employé et sans cesse avec succès, il fait de vous ce qu’il veut : involontairement, vous écoutez ses paroles, vous subissez son influence. Ce n’est pas à vos yeux que vous devez vous fier, mais à lui seul : il le dit hautement, et il appuie ce raisonnement logique de tant de preuves excellentes ; il parvient à donner tant de légèreté et de grâce à ce cheval lourd et massif, tant de finesse à ces jambes carrées, tant de vigueur et de feu à cette tête molle et inerte, que vous finissez, bon gré, mal gré, par être ébloui, enchanté, et que vous payez à beaux deniers comptants le descendant presque certain d’Éclipse et de miss Annette. Inutile de dire que l’illustre rejeton est souvent bon tout au plus à conduire des choux au marché des Innocents.

Il y a deux classes de maquignons qui ne se ressemblent nullement, excepté par ce point commun, à savoir l’adresse inappréciable de faire voir à tout le monde qu’un cheval bai est gris-pommelé, et que des chevaux flamands sont des pur-sang anglais. C’est d’abord le maquignon marchand de chevaux, c’est-à-dire tenant manufacture et entrepôt de coursiers plus ou moins de selle et de trait, puis le maquignon brocanteur.

Le marchand de chevaux est facile à reconnaître. C’est un type tout à fait tranché et sortant des types vulgaires. Le plus souvent il possède un riche embonpoint, une large figure rubiconde légèrement rembrunie à l’extrémité du nez, ce qui laisserait supposer qu’il ne se sert guère d’eau que pour se faire la barbe, une figure ouverte et bonhomme, des manières brusques et cavalières, mais des yeux d’une obliquité perfide et d’une finesse interrogative dont il faut profondément se défier. Il porte invariablement une redingote de couleur claire qui produit sur ses quadrupèdes le même effet magnétique que la redingote grise du grand homme sur les vieux grognards : sa tête est surmontée d’un chapeau très-râpé et d’une forme antédiluvienne qui lui sert à la fois de préservatif contre les injures de l’air, et de tambour pour exciter ses chevaux. Il est en outre orné en toute occasion d’un fouet formidable, sceptre respecté avec lequel il gouverne son empire piaffant et hennissant. Ce meuble indispensable ne le quitte jamais : il mange, il boit, il se promène, il s’assied, il dort, son fouet à la main : il y a entre son fouet et lui une adhérence que rien ne saurait briser. Otez-lui son fouet, et il perdra tous ses avantages. Son langage manquera de l’accompagnement le plus nécessaire ; ses chevaux ne marcheront plus, ne caracoleront plus, ne feront plus toutes ces petites gentillesses qui vous séduisent ; c’est un homme démoralisé, ruiné, son état est perdu ; il n’a plus qu’à mener ses bêtes au marché. Quand il entre dans l’écurie, un petit sifflement annonce sa présence, et alors il se fait un mouvement général et précis comme sur la ligne d’un bataillon. Toutes les croupes se rangent, s’alignent, les têtes se lèvent, les oreilles se dressent, les chevaux sont magnifiques. Vous admirez, et vous ne savez que choisir. Le marchand de chevaux le sait mieux que vous ; il fait sortir un cheval dont il vous a montré la belle tenue, et pendant qu’il vous entretient de l’utilité que vous pouvez en tirer, de sa docilité, de sa force, de son ardeur, de ses qualités universelles, on le brosse, on le peigne, on le lisse, on lui introduit sous la queue une certaine quantité de gingembre, ce qui le jette dans une inquiétude continuelle, et lui donne une apparence de feu et d’impatience. C’est alors qu’on va le faire trotter : ceci est un des grands arts du maquignon ; car à cette allure se révèlent ordinairement les défauts d’un cheval. Un gaillard élancé, et taillé hardiment, prend la bête par la bride et la tient serrée sous la mâchoire, le maître fait claquer son fouet et lui pince fortement les flancs. Le cheval comprimé par une main ferme qui lui lève la tête, et pressé par la lanière qui lui caresse désagréablement les jambes, sautille, gambade, se cabre : sa peur, son étonnement, changent son allure, le cambrent, lui donnent de la souplesse et du jarret. Vous êtes ravi, émerveillé, vous achetez l’animal, et vous vous frottez les mains de joie d’avoir fait un aussi magnifique marché ; de son côté, le marchand n’est pas faché de s’être débarrassé d’une bête dont il ne pouvait se défaire, et tout le monde est content. Le marchand de chevaux a un talent particulier pour rendre un cheval beau à voir, pour lui arrondir comme par enchantement le ventre et la croupe, il le nourrit de pommes de terre, de son, de carottes, que sais-je ? N’étant pas maquignon, je ne puis vous telechargement-7 dans LITTERATURE FRANCAISEle dire, et je le serais, que je vous le dirais encore moins. Mais au bout de huit jours, cet embonpoint factice tombe, le cheval vous apparaît tel qu’il sera toujours entre vos mains, côtes saillantes, ventre flasque, croupe anguleuse. Il est ce qu’on appelle débourré. Le maquignon trouve toujours moyen de vous vendre son cheval le prix qu’il en veut. Si cet honnête industriel est de bonne humeur, et il l’est toujours avec ceux que son coup d’oeil exercé lui révèle comme des acheteurs généreux, il fermera la bouche à toutes vos observations par sa plaisanterie insinuante. Habile à caresser vos faiblesses, il piquera votre amour-propre par sa brusque flatterie, ou fera sourire votre ennui par ses calembours d’écurie et son rire aussi bruyant que le claquement de son fouet. Il réfutera d’autant plus victorieusement toutes vos allégations, qu’il n’ignore rien de vos intentions cachées. Il sait si vous avez envie de son cheval, si vous en avez vu d’autres, où vous êtes allé, si vous avez un vétérinaire, et quel il est ; il a des affidés, des espions, une haute police partout : il met en oeuvre un machiavélisme inouï de combinaisons. Si vous venez visiter ses chevaux comme simple flâneur ou comme mandataire d’un ami, il ne sera plus le même ; il vous toisera de la tête aux pieds comme pour vous dire que vous n’avez pas l’étoffe et l’allure d’un acheteur de chevaux ; il ne se donnera pas la peine de vous montrer lui-même sa marchandise, et vous laissera errer seul dans ses écuries. Heureux si votre curiosité ne vous vaut pas quelque morsure ou quelque ruade ! Dans la vie privée, le marchand de chevaux n’a plus cette douceur, ce mielleux de langage et de manières qu’il prodigue aux amateurs. Alors il est bourru, haut de verbe, grand jureur, mari brutal : il se croit toujours à l’écurie derrière ses chevaux, gourmandant, criant, fouettant. S’il a des enfants, il les traite absolument comme des poulains, les tient serrés, les fait manoeuvrer avec la chambrière, et ne les laisse pas faire une gambade sans sa permission. Il se refuse en général toute espèce de plaisir extraordinaire ; il est bien dans son écurie ; il y reste : c’est là son atmosphère de prédilection, le milieu dans lequel il est le plus à l’aise ; il a garde de s’en séparer. Il est certain que dès qu’il en sort, ce n’est plus le même homme ; il est emprunté, lourd, épais, il n’a plus la désinvolture qu’on remarque en lui quand il se tient fièrement devant un cheval, le fouet à la main. Il ne sait pas donner le bras à son épouse : dans sa distraction, il irait presque jusqu’à la saisir par le cou ou les épaules ; il ne comprend rien à ce qui l’entoure ; il est dépaysé, désorienté : tout pour lui n’a qu’une odeur, celle du fumier ; tout se résume en un seul objet, un cheval. On conçoit qu’avec cette idée fixe et tenace, les choses extérieures doivent avoir pour lui fort peu de charme et d’intérêt. Aussi ne quitte-t-il guère ses pénates, c’est-à-dire ses coursiers, que pour aller à la recherche de nouveaux élèves. Alors il parcourt les provinces, assiste aux foires, et s’approvisionne de chevaux qu’il baptise des noms qui lui paraissent se rapporter le mieux à leurs formes. Le Limousin lui fournira le cheval anglais, ou même arabe (pourquoi pas ?) ; l’Alsace, la Flandre, la Normandie le mettront à même de satisfaire aux nombreuses demandes qu’on lui fait de chevaux hanovriens et mecklembourgeois ; enfin, il trouvera aisément toutes les races de chevaux européens, sans sortir de France. Et, au fait, nous autres Parisiens, nous sommes si bons enfants, quand il s’agit de chevaux, qu’il y a plaisir et profit à nous duper ; c’est une bénédiction. Pour peu qu’un cheval ait l’oeil vif, la tête gracieusement pliée, et de l’entrain dans le jarret, nous le proclamons tout de suite de sang arabe ; pour peu qu’un autre ait les jambes fines, la tête mince, le corps svelte et allongé, nous crions au cheval anglais. Le marchand de chevaux nous en donne comme nous en voulons ; nous n’avons pas le droit de nous plaindre.

telechargement-8Quelquefois le marchand de chevaux, quand il est riche et en réputation, se permet des promenades aux Champs-Élysées, dans une voiture plus ou moins bizarre, attelée de deux ou même de quatre chevaux. Mais il a beau étaler des harnais splendides, et se faire accompagner de laquais en livrée, on le reconnaît sur son siége élevé comme un second étage, à sa figure enluminée, à sa forte membrure, à ses façons d’homme du métier. C’est bien pis encore, quand sa femme et une ou deux amies forment la délicieuse partie de se faire voiturer ensemble. Leur morgue vulgaire et boursouflée, qui ne doit durer qu’un jour, leurs manières triviales, leur costume grotesque et mesquin, tout cela présente un contraste bouffon avec le luxe de bon goût et la riche simplicité des équipages qui les entourent, et égaie prodigieusement le beau monde heureux de trouver l’occasion de persifler quelqu’un et de railler quelque chose. Le coeur du marchand de chevaux est le moins sensible de tous les coeurs : en fait d’émotions, il est inexpugable. La douleur physique, pour lui aussi bien que pour les autres, n’est rien ; il ne conçoit pas qu’on puisse avoir l’épiderme plus délicat que celui des chevaux ; et, pour son propre compte, il en est convaincu ; car il n’en juge que d’après la rudesse coriace de sa peau. Aussi rit-il d’un rire superbe, en voyant notre douillette et dolente humanité donner le nom de maux horribles à ce qu’il regarde pas même comme des contrariétés. Jamais on n’a surpris une larme dans son oeil ; et, en effet, les chevaux ne pleurent pas : s’il a de la douleur, il la concentre si bien que personne ne s’en aperçoit, ou plutôt je crois qu’elle n’a pas prise sur lui. De là vient aussi son besoin de domination. Le marchand de chevaux est plus autocrate dans l’empire de son écurie que Nicolas dans toutes les Russies, sa mine haute impose à tous. Il veut une soumission passive. Palefreniers, grooms, enfants, femme, cochers, chevaux, tout est mis sur la même ligne, et doit obéir sans plus d’observations et de raisonnements. Il ne fait que deux distinctions, ne voit chez lui comme partout que deux classes bien tranchées, ceux qui commandent et ceux qui obéissent. Parlez-lui d’indépendance, de nationalité, de réforme électorale, il vous rira au nez, et vous répliquera victorieusement qu’on aura beau faire, retourner le monde en cent façons comme un gant usé, changer tous les dix ans de gouvernement, on ne sortira jamais de ces deux classes, la classe dominante et la classe obéissante. Et il n’a pas si grand tort, ma foi ! Au reste, en politique, il est excessivement arriéré : il ne lit ni le National ni le Charivari : il est abonné aux Petites-Affiches, feuille peu incendiaire. Sa politique est la politique du statu quo ; que ce statu quo soit bon ou mauvais, peu lui importe, il n’y regarde pas de si près. S’il tient des rênes, ce ne sont pas celles du gouvernement, et il n’est nullement chargé de faire marcher le char de l’état. Et d’ailleurs, si par un hasard fort rare, il vient à parler politique, c’est pour se mettre en colère, et déclamer contre la trop grande douceur des formes représentatives. C’est un homme d’intimidation. Règle générale : un gouvernement qui aime bien, châtie bien : à ce compte-là, on peut dire sans flatterie que presque tous les gouvernements adorent leurs gouvernés. Il voudrait qu’on menât les peuples la bride haute et avec un mors Secundo. Selon lui, c’est le vrai moyen de les rendre doux et d’humeur point révolutionnaire. Avec un système aussi excentrique, il risquerait fort de se prendre aux cheveux avec les hommes les moins passionnés en politique, pour peu qu’il mît souvent ses opinions sur le tapis ; mais c’est là le plus mince sujet de ses préoccupations : il n’a garde de lancer son esprit dans des régions aussi éloignées. En général, il ne se soucie que fort peu de ce qui s’adresse à l’intelligence humaine. En littérature, il ne sait pas à coup sûr ce que c’est que Victor Hugo, et il mettra le Contrat social sur le compte de Châteaubriand. Sa bibliothèque se compose du livre de poste, de quelques bouquins sur l’art d’élever et de dresser les chevaux, et d’une riche collection de Mathieu Laensberg. Ne lui demandez rien de plus. De religion, il s’en occupe encore moins que de tout le reste. Il a tout matérialisé, tout réduit à un positif désespérant.

Mais le maquignon que nous avons peint jusqu’à présent, c’est l’homme domicilié, patenté, payant contribution, et tenant sa place dans la société autrement que par le volume de son ventre. Il y a une autre espèce de maquignon, le maquignon véritable et primitif, le maquignon brocanteur ; celui qui n’a pas de domicile connu, mais que l’on trouve partout où il y a un cheval à acheter. Celui-là n’est plus comme le marchand de chevaux une espèce de poussah aux jambes courtes, aux joues tombantes, à la face écarlate, marchant carrément, et plein d’une haute opinion de sa personne : c’est au contraire un homme fluet, sec, maigre, toujours courant, toujours trottant, ce qui nuit à l’embonpoint qu’il pourrait retirer d’une digestion plus tranquille, et le rend efflanqué comme un lévrier de petite-maîtresse. Et en effet, il n’est pas de cheval d’Omnibus qui fasse plus de chemin, parcoure plus de rues, de quartiers que le maquignon brocanteur. Toute sa vie n’est qu’une course sans fin. Chaque matin, son occupation première est de consulter les Petites-Affiches : une fois ses renseignements pris sur les chevaux à vendre et à acquérir, il se met en route et va faire ses visites quotidiennes aux écuries indiquées : il examine le cheval avec confiance, lui ouvre la bouche pour savoir son âge, lui palpe les jambes pour vérifier s’il n’est pas affligé d’engorgements ou de crevasses, le fait tousser pour s’assurer qu’il n’est pas poussif ou fourbu ; et il répète la même opération à chaque nouvel examen. Il s’introduit chez les personnes qui vendent leurs chevaux, leur offre ses services, son expérience (et il s’y connaît, beaucoup trop quelquefois) ; pour elles, il n’hésitera pas à faire toutes les recherches nécessaires, par pure complaisance. Il ne leur conseillera pas d’acheter des chevaux neufs, car alors on n’a plus qu’à s’adresser à Crémieux ou à Aron, et son ministère devient inutile : il vous en détaillera les inconvénients : « il est bien plus sage, dit-il, moins cher en même temps, de chercher des chevaux tout faits, tout dressés, qui sont pliés, assouplis, habitués à la main de l’homme, pleins d’une grâce acquise et d’une vigueur éprouvée. » Vous, bonhomme, qui souvent n’aimez que votre repos, et ne vous occupez guère de vos chevaux que pour vous dorloter dans votre chaude et commode berline, vous vous laissez facilement séduire par ces arguments sophistiqués. Mais comme toujours celui qui se défait de ses chevaux a pour cela une raison capitale, il s’ensuit que vous êtes trop heureux de les revendre à moitié prix au bout de trois semaines, grâce aux bons offices du maquignon.

Le maquignon est l’homme de Paris qui connaît le plus de monde : il donne des poignées de mains à un nombre incommensurable de cochers, de palefreniers, de valets d’écurie, de valets de pied ; il a des ramifications, des accointances partout : il ne s’est jamais connu d’ennemis. A la différence du marchand de chevaux, il est poli et souriant avec tout le monde ; car il voit dans chacun la cause cachée de quelque affaire brillante. Il ne brusque et ne méprise personne : il n’est groom si imberbe auquel il ne fasse des cajoleries intéressées ; il sème des amitiés partout, à tout hasard, bien certain d’en recueillir tôt ou tard les fruits. Maîtres et valets ont une part presque égale dans ses prévenances ; car si les maîtres achètent, les valets font vendre. Il se ménage des entrées en tout lieu : les antichambres, les écuries lui sont toujours ouvertes et n’ont pas de secret pour lui. Il connaît non-seulement les personnes qui ont mis leurs chevaux en vente, ou qui ont été en visiter, mais encore ceux qui ont l’intention, le caprice fugitif de faire quelque trafic de ce genre. Il n’attend pas l’occasion, il la provoque et lui force la main : c’est l’intrigant le plus hardi qu’on puisse voir. Vous ne pouvez pas vous surprendre une pensée qui ait rapport plus ou moins directement à un cheval, sans que le maquignon ne devine cette pensée. Il a un tact d’observation raffiné, un talent de seconde vue qui vous déroute et que vous ne pouvez concevoir.

Je suppose que, par hasard, après une promenade pédestre au bois de Boulogne, vous revenez à votre domicile un peu fatigué, et que le soir, seul dans votre chambre à coucher, tout en nouant autour de votre tête parfaitement frisée un véritable foulard des Indes, vous voyez défiler fantastiquement sous vos yeux cette suite brillante d’équipages, et surtout ce délicieux alezan qui dévorait l’espace avec tant de vitesse et de feu. Alors vous vous dites follement en vous-même :… « Tiens, une idée lumineuse !… Si je prenais un cheval… alezan, et un tilbury ?… au fait, pourquoi pas ?.. » sans songer que vous n’avez juste que ce qu’il vous faut pour subvenir à votre existence d’homme, sans aller encore vous charger de la nourriture d’un quadrupède aussi incommode et dispendieux à entretenir qu’agréable à voir. Et vous vous couchez avec cette idée qui au premier abord n’est pas tout à fait dépourvue de charmes ; votre cheval vous galope sans cesse dans la cervelle, vous entassez les unes sur les autres des visions absurdes, et le lendemain, à votre réveil, vous haussez les épaules en songeant à toutes les billevesées que cette idée saugrenue a fait éclore dans votre imagination. Cependant, au point du jour, vous êtes prodigieusement étonné de recevoir la visite d’un individu de mise équivoque et d’aspect hétéroclite, qui s’avance vers vous après avoir décrit un certain nombre de courbes, et après s’être acquitté consciencieusement de plusieurs salutations d’une politesse inconnue de nos jours. Vous faites asseoir l’aimable étranger qui, après un préambule captieux sur les inappréciables qualités de la race chevaline, finit par vous offrir un très-beau cheval de sang anglais qui a paru aux dernières courses, et a été acheté 5,000 francs ; il vous le laissera, mais pour vous seul, au prix de 600 francs. Vous commencez par tomber des nues, et vous vous demandez comment cet homme, ange ou démon, a pu avoir connaissance d’une idée vague que vous-même maintenant n’êtes pas bien sûr d’avoir eue. Êtes-vous somnambule, avez-vous été crier sur les toits que vous vouliez un cheval pur sang anglais ? Ou bien, ce farfadet, invisible à l’oeil nu, s’est-il glissé à travers les fissures de votre porte, pour écouter quoi.. ? vos pensées : vous l’ignorez, et vous l’ignorerez probablement toute votre vie. Quoi qu’il en soit, vous éconduisez aussi adroitement que possible votre visiteur inattendu, et vous l’accompagnez jusqu’au seuil de la porte de votre appartement, autant par politesse que pour bien vous assurer qu’il ne vous emporte par distraction ni une montre, ni un couvert d’argent. Et c’est par des soupçons aussi injurieux que vous savez reconnaître sa prévenance désintéressée !

Si le maquignon brocanteur connaît certains marchands de chevaux, et se trouve lié d’intérêts avec eux, alors sa clientèle s’étend et devient de plus en plus profitable pour lui. Le marchand de chevaux qui ne peut venir à bout de se défaire d’un cheval, s’entend avec le maquignon, et alors quel atroce guet-apens pour les malheureux acheteurs ne résulte-t-il pas de cette conspiration à huis-clos, entre ces deux Machiavels d’écurie ? Le cheval invendable est mis en maison bourgeoise (terme usité en pareil cas), dans une écurie louée à cet effet. Il est annoncé sur les affiches comme appartenant soit à un gentilhomme étranger sur le point de partir pour l’Orient, soit à un agent de change obligé de s’enfuir en Belgique, etc. Le thème varie suivant l’imagination du maquignon, et il en a toujours infiniment. Pendant ce temps, celui-ci fait mousser l’animal qui ne tarde pas à trouver un maître. C’est ordinairement quelque commerçant en détail, retiré des affaires, qui s’abandonne aux voluptés d’une demi-fortune, et veut avoir le noble coursier au rabais, tout comme un mouchoir de poche et un bonnet de coton.

Tous ceux qui ont ou font semblant d’avoir la passion des chevaux, passion aussi innocente que ruineuse, subissent directement ou indirectement l’importante entremise du maquignon. Le dandy improvisé sur lequel vient de tomber un gros héritage, et qui, dans le premier vertige de la fortune, veut avoir le plus beau cheval de Paris, jette l’or au maquignon, qui se baisse très-lestement pour le ramasser, et lui procure bientôt ce qu’il demande : un animal d’une apparence superbe, au poil brillant, à la robe bizarre, à la tête raide et toute d’une pièce, dressé parfaitement à se tenir cambré comme ces chevaux de carton qui servent de montre chez les selliers. Peu importe le reste, c’est-à-dire justement le plus essentiel. L’agent de change qui use un cheval en six mois s’adresse, lui aussi, au maquignon : celui-ci, dans le louable but de ne pas sacrifier une nouvelle bête, la lui donne tout usée. La vieille comtesse ou baronne qui renouvelle ses équipages est trop heureuse de trouver le maquignon qui, sous prétexte de lui donner des chevaux normands, et de ne pas l’exposer à des dangers, lui fabrique tout exprès un attelage de ces gros chevaux à queue rase et à lourde tête qui ne vont jamais plus vite que le pas, et ne se souviennent d’avoir pris le trot que le jour où on les essaya pour la première fois. Que d’infortunés en outre qui n’ont pas assez de temps, assez de patience, assez d’habitude pour chercher eux-mêmes des chevaux, et remettent leur destinée entre les mains du maquignon, et combien celui-ci se fait peu scrupule de leur faire casser le col avec un cheval vieux ou rétif, ou de les laisser en route avec des rosses poussives et boiteuses !

Le maquignon a toujours en ville une ou deux écuries, où il place incognito les objets de son trafic. C’est dans ces lieux qu’il transforme un cheval usé, étique, amaigri, en une bête superbe, pleine de bonne mine et de vigueur. C’est là qu’il restaure et remet à neuf les rosses éreintées qu’il obtient à vil prix dans les ventes après décès ou même au marché ; là, qu’il les façonne à son gré, les gonfle comme une bulle de savon, leur donne un poil lisse et uni ; là, qu’il leur coupe et leur rajuste les oreilles, si elles sont longues et disgracieuses, qu’il leur met une fausse queue, si la queue primitive est dénudée ; là, qu’il fait disparaître pour quelques jours les engorgements qu’ils ont aux jambes, qu’il leur peint les sourcils pour dissimuler leur âge, etc. Malheur à vous si, attiré par l’odeur du fumier, vous entrez dans ce laboratoire du maquignon, où il escamote les défauts d’un cheval, et lui fait subir des métamorphoses fabuleuses, vous n’en sortirez qu’avec une rosse de plus, et quelques cinq cents francs de moins !

D’après ce tableau effrayant, on pourrait croire qu’il n’y a possibilité d’avoir de bons chevaux qu’en les allant chercher soi-même dans la Grande-Bretagne ou en Afrique. Ceci serait vrai, si ces pays étaient encore primitifs et vierges ; mais la civilisation y a fait pousser le maquignon d’une façon toute champignonne, il y a des maquignons anglais, et des maquignons bédouins ; et ces derniers, soit dit en passant, sont pour le moins aussi arabes que leurs chevaux. Or donc, quoi que vous fassiez, vous qui avez  le malheur d’être assez riche pour nourrir des chevaux, il faut vous résigner à être dupé. Si vous êtes assez novice pour vous adresser à un maquignon brocanteur, vous méritez votre déconfiture, et je ne vous plains pas. Si vous mettez aveuglément votre confiance en un marchand de chevaux, vous êtes une excellente nature, digne sans doute d’un autre âge et d’un meilleur sort ; mais enfin à qui la faute ? D’un autre côté, si vous avez des prétentions à être connaisseur en fait de chevaux, il n’y a pas d’artifice et de ruse qu’on ne mette en oeuvre pour avoir raison de votre prétendue habileté, et vous risquez fort de retomber dans la catégorie générale. Que faire alors, dira-t-on, à moins de se résigner à végéter toute sa vie en Omnibus de peur d’acheter des chevaux poussifs et gras-fondus ? Ma foi, je n’en sais rien, mais toujours est-il que j’aimerais mieux acheter trois maisons qu’un seul cheval.                                

ALBERT DUBUISSON. 

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Belfort, entre Jura et Vosges

Posté par francesca7 le 26 août 2013


Belfort, entre Jura et Vosges dans Jura 320px-belfort_en_1750_aquarelle_de_1818

Située sur les deux rives de la Savoureuse, Belfort commende la « Trouée » qui s’ouvre entre le Jura et les Vosges. La ville ancienne, dominée par son château et par le célèbre Lion, s’étend sur la rive gauche de la rivière, à l’emplacement de la citadelle « imprenable » de Vauban. Sur la rive droite, s’est développée la ville moderne avec ses industries de haute technologie, ses universités, ses quartiers commerçants et ses secteurs urbains rénovés.

Les militaires appelaient ce passage naturel entre Vosges et Alsace, la « Trouée de Belfort ». Les géographes parlent plutôt selon que l’on regarde vers l’Ouest ou vers l’Est, de Porte de Bourgogne ou de Port d’Alsace. A 350 m d’altitude, ce seuil large d’environ 30 km est bordé, au Nord, par la masse imposante des Vosges avec le Ballon d’Alsace culminant à 1 247 m, au sud par les plateaux du Jura qui progressivement atteignent jusqu’à 800 à 1 000 m. Seuls  quelques modestes vallonnements viennent rompre la monotonie de ce lieu de communication jadis drainé par un cours d’eau, d’orientation sud-ouest – nord-est. Aujourd’hui, la ligne de partage des eaux se situe à la hauteur de Valdieu à mi-chemin entre Belfort et Altkirch. Routes, chemin de fer, cal du Rhône au Rhin empruntent ce passage qui a été aussi, depuis les temps les plus reculés, le chemin naturel des invasions.

 C’est du fort de Salbert que l’on aura la meilleure vue d’ensemble sur la Trouée de Belfort et le site qu’occupe la ville ; quitter la ville par l’avenue J.Jaurès, tourner à gauche dans la rue de la 1ère armée française prolongée par la rue des Commandos d’Afrique, puis prendre légèrement à droite la rue du Salbert ; par une route sinueuse à  travers la forêt, on atteint le fort situé à 647 m d’altitude. De la vaste terrasse (à 200 m sur la gauche) se révèle un beau panorama sur Belfort, les Alpes suisses, le Ballon d’Alsace  et les monts environnants. Alors que le « Mont » (colline s’élevant au premier plan en direction du Sud) et l’escarpement rocheux portant le château et le Lion de Belfort sont des terrains calcaires jurassiques, la butte que couronne le fort du Salbert, constituée de granit et de gré fait encore partie des Vosges.

Au cours des siècles, Celtes, Barbares, Impériaux, Allemands déferlent successivement, pour le plus grand dommage de la malheureuse cité qui se trouve sur leur passage. Belfort reste sous la domination autrichienne (les Habsbourg) depuis le milieu du 14ème siècle, jusqu’à la conquête française. Mais, dès 1307, les Belfortains jouissent d’une charte qui leur donne les libertés communales. Pendant la guerre de Trente Ans, en 1636, la ville est prise par les Français : le comte de La Suze, partie de Montbéliard, enlève la nuit, par un coup d’une audace inouïe, les formidables fortifications. Suze, nommé gouverneur de Belfort par Richelieu, est resté célèbre dans les annales locales par ses instructions, données en trois mots au commandant de la garnison : « Ne capitulez jamais ». La conquête de Belfort et de l’Alsace est ratifiée par les traités de Westphalie (1648).

 

Louis XIV ordonne à Vauban de faire de Belfort une place imprenable. Le grand ingénieur y déploie tout son génie et réalise sans doute là son chef d’œuvre.

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Le Verdun de 1870 - Avec une garnison de 16 OOO hommes composée pour les trois quarts de gardes mobiles courageux mais inexpérimentés, le colonel Denfer-Rochereau doit résister à 40 000 Allemands. Au lieu de s’enfermer dans la place, il en dissout toutes les approches. Cette lente retraite vers le réduit de la défense prend un mois. L’ennemi a mis en batterie 200 gros canons qui, pendant 83 jours consécutifs, tirent plus de 400 000 obus : 5000 par jour, ce qui est énorme pour l’époque. Mais la résistance ne fléchit pas d’une ligne. Le 18 février 1871, alors que l’armistice de Versailles est signé depuis 21 jours, le colonel consent enfant, sur l’ordre formel du gouvernement à quitter Belfort après 103 jours de siège. Le retentissement de cette magnifique défense est grand, ce qui permet à Thiers luttant de ténacité avec Bismarck, d’obtenir que la ville invaincue ne partage pas le sort de l’Alsace et de la Lorraine ; on en fait le chef-lieu d’un « territoire » minuscule mais dont l’importance économique va devenir considérable.

Après 1870, Belfort connaît une transformation radicale. Jusqu’alors peuplée d’environ 8 000 habitants, c’est une ville essentiellement militaire (aucune ville n’a donné à la France autant de généraux : vingt en un siècle). En trente ans, elle devient une puissante agglomération de 40 000 âmes. C’est qu’après l’annexion allemande un grand nombre d’industrie, appartenant à des Alsaciens soucieux de poursuivre leurs échanges avec la Franche, ont implanté des succursales dans la région de Belfort. La ville grandit à tel point, qu’il faut abattre une partie des remparts de Vauban à l’ouest. Des quartiers nouveaux, aux larges artères, aux vastes places, lui donnent l’aspect d’une petite capitale.

Le 14 novembre 1944, la 1ère Armée française, stoppée depuis deux mois devant le verrou de Belfort, hérissé de défenses, déclenche l’offensive qui doit lui ouvrir la prote de la Haute Alsace et le chemin du Rhin. Le fort du Salbert, au Nord Ouest de la ville, barre la route. Le 19 novembre, une attaque est montée contre lui. A la nuit, 1 500 hommes des commandos d’Afrique se glissent dans la forêt du Salbert, neutralisant les postes de garde allemands. Les fossés sont descendus à la corde, sans que l’éveil soit donné à l’ennemi : la colonne surprend la garnison du fort et la maitrise. Le 10, au petit jour, dévalant les pentes du Salbert, les commandos bientôt suivis des chars pénètrent dans Belfort. Après deux jours de combats de rues, la ville est enfin livre, le 22 novembre 1944.

Ces deux dates : 1926-1990 illustrent bien l’activité dominante de Belfort. En 1926, la première locomotive électrique sort des ateliers belfortains de la Société Alsacienne de Constructions Mécaniques ; le 18 mai 1990, la rame 325 du TGV atlantique, montée par les ateliers de l’Alsthom, bat le record du monde de vitesse sur rail en atteignant 515,3 kms/h.  L’électromécanique, les matériels ferroviaires et la construction de centrales thermiques ou nucléaires forment aujourd’hui l’activité des usines GEC-Alsthom de Belfort. Avec l’informatique (Bull) ces industries confère à la ville et à sa région une réputation de savoir-faire et de technologie de pointe que viennent épauler et renforce la toute jeune université scientifique Louis Neele et l’Institut polytechnique de Sévenans.

Soucieux de se ménager une voie d’accès vers l’Alsace et l’Empire, Richelieu avait déjà, en 1625, tenté de s’emparer de Belfort. A la tête d’un corps de Croates, Tilly avait alors victorieusement résisté. Devenue française à la signature des traités de Wesphalie, Belfort se voyait confirmée dans son rôle de place forte avec les travaux entrepris par Vauban dès 1687. Vauban conserva le château, mais enserra la ville dans un système de fortification pentagonal ancré à l’escarpement rocheux qui porte l’édifice. Les travaux durèrent une vingtaine d’années. Jusqu’à la fin de l’Empire, la mission de Belfort demeura celle que Vauban lui avait assignée ; garnison et base de matériel située entre l’Alsace et la Franche-Comté. C’est cette place forte que le commandant Legrand défendit en 1814.

Cependant, les idées évoluaient et, dès 1815, prenant davantage en compte les exigences de la guerre de mouvement, le général Lecourbe puis le général Haxo (dès 1825) mirent en œuvre un plan qui visait à créer à Belfort non seulement l’ouvrage de défense de la ville, mais aussi le camp retranché qui permettait la surveillance de la Trouée : ils élargissaient ainsi considérablement le rôle stratégique de la place. Cette conception prévalait toujours lors du siège de 1870 et elle s’affirma avec les plans du général Séré de Rivières qui préconisait le renforcement de quatre camps retranchés (Verdun, Toul, Epinal, Belfort) reliés par une ligne de forts.  Après 1885, à la suite des progrès observés dans l’efficacité des armements, les nombreux forts furent modernisés ; le béton remplaça la maçonnerie et l’artillerie fut dispersée en batteries, moins aisément repérables que les forts. A la veille de la Grande Guerre, Belfort pouvait abriter 7 500 hommes en temps de paix et dix fois plus en cas de conflit. La ligne défensive Belfort-Epinal jouait pleinement son rôle.

 

280px-lionbelfortetchateauLE LION de BELFORT – Cette œuvre « pharaonique » adossée à la paroi rocheuse, en contrebas de la caserne construite par le général Haxo, a été exécutée par Bartholdi de 1876 à 1880 et montée sur place, pièce par pièce. Le Lion, en grès rouge des Vosges symbolise la force et la résistance de la ville en 1870. De proportions harmonieuses, il mesure 22 m de longueur et 11 m de hauteur. On peut approcher la sculpture en accédant à la plate forme située à ses pieds.

 

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