Le Sage de la Taconnerie
Posté par francesca7 le 10 août 2013
ou les divers aspects de Charles BAUDOUIN
Qui fut, que fut, Charles BAUDOUIN, fondateur en 1924 de l’Institut qui porte aujourd’hui son nom? Certainement un homme d’une grande culture, d’une grande ouverture, mais aussi d’une grande humanité et d’une grande modestie. C’est ce que s’attache à montrer Richard BÉVAND, Analyste Didacticien de l’Institut Charles Baudouin, dans cette conférence présentée à l’Institut National Genevois le 6 octobre 1998 et publié dans Action et Pensée N° 34, juin 1999. (Le style « conférence » a été maintenu pour la publication écrite)
Par un beau jour de l’an 1915, un jeune voyageur arrive à la gare de Cornavin, après un voyage de 30 heures, de Nancy à Genève; voyageur exténué, sans doute, mais, se disait-il, semblable à « un naufragé qui touche terre tout à coup, qui se sent rendu à lui-même » et qui pense que « maintenant la vie peut recommencer. » Le voyageur descend à l’hôtel de l’Union – terme combien évocateur ! : il y réserve une chambre au nom de Charles Baudouin. Charles Baudouin est alors âgé de 24 ans; il habitera dans le canton de Genève, il y travaillera jusqu’à sa mort, en 1963 (25 août), dans des domaines divers, c’est ce que je vais essayer de montrer.
Le lendemain de son arrivée, muni d’un guide datant de 1860 – vieux donc de 55 ans, le jeune homme prend le tram 12, circulant du Molard au Rondeau de Carouge. De là, il cherche à repérer la pension « Villa Louisette », à la Chapelle-sur-Carouge, signalée dans la Feuille d’Avis. La pension lui convient et il s’y installe.
Un matin, on lui apporte son petit-déjeuner avec la « Tribune de Genève » dans laquelle il apprend avec surprise que le grand poète suisse Carl Spitteler (1845-1924, Prix Nobel de Littérature en 1919) se trouve non loin de la « Villa Louisette »: à l’occasion de ses 70 ans, il posait dans l’atelier du sculpteur James Vibert, situé aussi à la Chapelle-sur-Carouge. Baudouin, qui possédait déjà une vaste culture littéraire, ne veut pas manquer cette aubaine et, payant d’audace, il va frapper à la porte de l’atelier des Vibert; il y découvre le sculpteur en train de modeler le buste du poète dans de la glaise et son frère, Pierre-Eugène Vibert, graveur, qui dessine le portrait de l’illustre personnage. Baudouin propose à Spitteler de traduire en français son poème « Les Papillons », ce qui lui fut accordé (Baudouin était bilingue); cette traduction plut au grand poète et il lui confia d’autres traductions : Printemps olympien, Prométhée et Epiméthée, Le second Prométhée, toutes œuvres maîtresses du grand poète.
J’ai dit qu’il paya d’audace : tel était en effet Baudouin, convaincu de la nécessité d’une démarche, il passait outre les obstacles pour atteindre son but.
Cette visite eut la conséquence heureuse de permettre à Baudouin de trouver un logis dans la maison qui appartenait au beau-frère de James Vibert, au sculpteur et ciseleur François Bocquet. En effet, le matin du mercredi 16 mai (1917), Baudouin pénétra dans cette maison, un fer à cheval à la main et en compagnie d’un chat noir. Une partie de cette demeure était habitable, l’autre, aux larges baies vitrées, avait servi d’atelier au sculpteur. D’une porte posée sur deux barres de fer, Baudouin fit sa table de travail. Baudouin aimait la simplicité, l’authentique; cet intellectuel avait un côté terrien.
Cette rencontre dévoile deux aspects de Baudouin, le traducteur et le poète – seul un poète peut traduire un poète !
Le traducteur : A part les œuvres déjà citées de Spitteler, Baudouin traduisit de Stefan Zweig Le cœur de l’Europe, de Goethe, Iphigénie en Tauride, d’Alexandre Blok, grand poète symboliste russe, Elégies, traduit du russe en collaboration avec Lucy Dokman, et de Sébastien Castellion, De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, traduction du latin.
Est-ce qu’un bon psychologue n’est pas, par la force des choses, un bon traducteur de sa compréhension de l’autre ?
Le deuxième aspect de Baudouin est celui du poète. Je crois bien que cet mot le résume à lui seul, un être en relation avec sa vie intérieure profonde, ouvert à l’esprit et créateur. En effet, il ne cessa, sa vie durant, de composer des poèmes, jalons des différentes étapes de sa vie. Grand marcheur devant l’Eternel, chaque déplacement enfantait un poème; en voici un, si vous le permettez, où il se décrit : Le poème du vagabond.
Moi aussi j’aimerais être d’une paroisse
Au lieu d’être toujours un qui passe.
Moi aussi, j’aimerais être un du village
Qui va suivre la messe avec les mêmes gens
Comme on l’a fait de père en fils depuis des âges
Bon ou mal an et de l’un à l’autre saint Jean.
Mais cela ne me fut point donné
Par les cartes de ma destinée.
Les fées penchées sur mon berceau bonnes mauvaises
En ont autrement disposé tout à leur aise.
Ce qu’elles m’ont donné,
Ce fut d’être toujours en marge
Toujours en marche.
Point ici ni point là, point d’ici ni d’ailleurs
D’être ce juif errant marcheur des vieux chemins,
un qui ne peut s’asseoir pour boire à nul foyer,
Mais qui est par le vent houspillé et fouaillé,
Chassé toujours ailleurs, toujours plus loin.
Je vais ma route – et plutôt les bords de la route
Ou le talus, laissant la route aux gros qui roulent –
Je sais que de marcher mène bien quelque part
Et si parfois, d’étape en étape, j’en doute,
N’importe, et comme on relève le sac, quand même,
Je rétablis ça d’un coup d’épaule, et je l’aime,
Ma route, car elle est mon destin et ma part.
Baudouin fit partie du groupe littéraire « La Violette », groupe qui publia plusieurs recueils de prose et de vers, d’Henri Mugnier, qui fut un grand ami de Baudouin, de Charles d’Eternod – maniant aussi bien la fraise que la plume (il était médecin-dentiste), d’Henry Spiess, de René-Louis Piachaud, connu pour sa traduction de Coriolan, de Shakespeare et dont les collégiens que nous étions à l’époque entendaient sur la place du Bourg de Four la voix retentissante, potentialisée par d’excessives libations à Bacchus. Sans oublier Jean Violette, qui avait donné son nom à ce groupe.
Mais, je n’ai pas encore dit ce qui avait poussé ce Nancéen, qui avait déjà enseigné la philosophie au collège de Neufchâteau, dans les Vosges, à venir à Genève.
Quand il était à l’armée, Baudouin fut atteint de tuberculose pulmonaire, puis réformé. A la recherche d’un climat favorable à sa santé, il hésitait entre Nice, les Basses-Pyrénées et Genève; il opta pour cette dernière parce qu’il se souvenait que dans cette ville, en 1912, année du deuxième centenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, avait été fondé un Institut portant précisément le nom de Rousseau – qui deviendra la Faculté de Psychologie de notre Université – et qui paraissait franchement novateur. Il était également attiré par la Suisse parce qu’il savait que l’écrivain et grand pacifiste Romain Rolland qu’il admirait séjournait à Villeneuve, et que Nietzsche, auquel il s’identifiait volontiers avait enseigné à l’Université de Bâle. Baudouin propose à l’Institut Rousseau un cours sur la méthode Coué. Cet Institut avait été fondé et était dirigé par deux psychologues éminents, Pierre Bovet et Edouard Claparède ; ceux-ci ignoraient jusqu’à l’existence de Coué mais ils acceptèrent d’engager Baudouin grâce à une lettre de recommandation de son ancien professeur, le philosophe Paul Souriau.
Quoique fort jeune, Baudouin apporte à Genève une expérience concrète de la suggestion. Alors qu’il était un enfant, il avait été émerveillé de voir le Professeur Bernheim, à Nancy, faire toucher à un sujet un fourneau froid et réagir comme s’il se brûlait les doigts. Cette scène est à l’origine de son intérêt pour la suggestion. Il avait été formé par Emile Coué lui-même, de la nouvelle Ecole de Nancy ; cette Ecole ne croyait pas à l’influence déterminante du suggestionneur sur son sujet : la suggestion était en fait une autosuggestion. Voici comment Coué présentait sa méthode : « …. cette volonté que nous revendiquons si fièrement cède toujours le pas à l’imagination. C’est une règle absolue qui ne souffre aucune exception ….
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