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Fin d’école de nos ancêtres

Posté par francesca7 le 8 août 2013

 

 Fin d’école de nos ancêtres dans AUX SIECLES DERNIERS images-46

Tandis qu’au Moyen Age certains collèges fermaient leurs portes du 1er septembre à la Saint-Martin (11 novembre), les vacances d’été débutaient, au début du XIXe siècle, à la mi-août. En 1891, celles-ci ayant alors lieu du 1er août au 1er octobre, il fut question de les avancer encore, pour en fixer le commencement au 15 juillet. Proviseur honoraire et agrégé d’histoire, Alphonse Lair s’amuse de la polémique née de l’affrontement entre partisans et détracteurs du projet

Alphonse Lair écrivait ces quelques vers en faveur des vacances d’été prolongées :

Dans un séjour paisible, asile de l’étude,
D’où le ciel a pour lui banni l’inquiétude,
Loin d’un monde orageux au charme suborneur,
Heureux le lycéen, s’il connaît son bonheur !

Malheureusement, le lycéen ressemble au laboureur des Géorgiques : il ne sait pas assez jusqu’où va sa félicité. Il ne s’agit ici ni du collégien du temps de Saint-Louis, dans l’éducation duquel le fouet jouait un rôle si considérable ; ni de celui du temps de Rabelais, obligé de parler latin avant d’avoir appris la langue latine ; ni de celui du temps de Marmontel, si bien formé dans le réfectoire à la tempérance et à la frugalité ; ni de celui d’il y a trente ans (1860), dont nul ne s’occupait, si ce n’est pour savoir s’il travaillait assez.

Il s’agit du collégien de nos jours, de celui dont tout le monde s’occupe, surtout pour savoir s’il ne travaille point trop. Pour éviter qu’il se surmène, lui, si habile à éviter ce qu’on nomme le surmenage, on a diminué les punitions, abrégé les classes, facilité les sorties, multiplié les promenades, amélioré le régime de la cuisine, perfectionné les méthodes d’enseignement, organisé les jeux de plein air et institué le plébiscite en matière de vacances.

Dieu me garde de médire de ces réformes libérales. Le collège est une image de la Société. Quand la discipline sociale s’adoucit, la discipline scolaire doit s’adoucir aussi. L’essentiel est de ne point dépasser la mesure dans l’adoucissement. D’ailleurs, au point de vue de la conduite et du travail, les écoliers d’aujourd’hui valent ceux d’autrefois. Ils ont seulement plus de bien-être. Pour en revenir à notre sujet, il y a eu récemment plébiscite sur le point de savoir s’il conviendrait de modifier les vacances.

Un plébiscite ! direz-vous peut-être. La chose comportait-elle ce que les hommes d’Etat appellent une consultation nationale ? Mon Dieu, c’est toujours une grosse affaire que de changer des habitudes. Un jour, un recteur de l’Académie d’Aix voulut toucher aux congés de Noël, privilège de la région. Marseille fut en révolution pendant vingt-quatre heures. Les élèves n’assiégèrent pas les portes du lycée pour sortir, il est vrai ; mais leurs mères les prirent presque d’assaut pour entrer. Chacune d’elles s’en retourna en compagnie d’un pensionnaire, excepté celles qui en emmenèrent plusieurs. Il fallut rapporter Ecoliers d’après une peinture de Paul Legrand exécutée en 1897 la décision rectorale. Dans le plébiscite dont nous avons parlé, il ne s’agissait point de supprimer tes vacances, mais seulement d’en avancer l’époque, d’en fixer l’ouverture à la mi-juillet et la fin à la mi-septembre.

Sur l’opportunité de ce changement, le ministre compétent a consulté le corps enseignant et l’a invité à consulter lui-même les familles (circulaire du 24 janvier 1891). Un journal populaire est allé plus loin : de son autorité privée, il a consulté la France entière, c’est-à-dire ceux des Français qui ont bien voulu lui répondre. Enfin le conseil supérieur de l’Instruction publique a été appelé à dire son mot dans la question. Il l’a dit tout récemment, par l’organe de M. le docteur Brouardel : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes… ». Le ministre a adopté cette conclusion optimiste. Il n’y aura rien de changé cette année dans l’Université, à l’égard des congés d’été. Comme les années précédentes, les lycéens s’en iront sans trop de regret le 1er août et reviendront sans trop de plaisir, le 1er octobre. Quant à la terre, elle continuera de tourner autour du soleil.

Rappelons brièvement les raisons données dans ce débat, pour et contre. Celles des partisans du changement peuvent se ramener à trois principales, d’abord la santé des élèves, ensuite leur plaisir et celui de leurs familles, enfin le désarroi des études, à partir de la fête du 14 juillet. L’argument tiré du plaisir des élèves et des familles a peu de poids. Les jeunes gens aiment-ils mieux être libres dans la seconde quinzaine de juillet que dans la période correspondante de septembre ? Les parents préfèrent-ils les recevoir quinze jours plus tôt, ou les garder quinze jours plus tard ? C’est une affaire de goût, dans les deux cas, et non une question d’intérêt général. Il en est autrement, quand on parle de la santé des lycéens.

Sans se mettre en frais de rhétorique, on peut faire, de la vie du lycée pendant les chaleurs de juillet, un tableau qui n’ait rien de séduisant. « Classes sans air, cours sans ombre, dortoirs hélas ! non sans odeur… Dans ce milieu énervant, maigres adolescents peinant huit heures par jour sur des livres rébarbatifs… Est-ce le moyen de leur donner ce corps robuste, organe d’un esprit sain, que rêvent pour eux les éducateurs à la mode ? »

Il faut bien le reconnaître : au lycée, pendant la canicule, un travail suivi peut devenir débilitant. Mais il faut l’avouer aussi : les lycéens qui travaillent alors sont en petite minorité, et ils travailleraient encore chez eux, avec moins de profit et plus de fatigue, s’ils étaient contraints de s’en aller en vacances. Nous parlons ici de ceux qui vont subir un examen, surtout de ceux qui vont prendre part à un concours : concours et examen dont l’époque serait difficilement avancée ou retardée, soit dit en passant. Oui, ceux-là se surmènent, surtout quand ils ont oublié le précepte : Rien ne sert de courir, il faut partir à point. Oui, ceux-là mettent parfois leur santé à l’épreuve. Mais tous les autres se tiennent dans cette sage réserve, familière à l’écolier français quand il se livre à une étude désintéressée, c’est-à-dire dépourvue de sanction immédiate.

Dans toute maison d’instruction publique, à l’approche de la distribution des prix, il y a une période de transition, une époque où les vacances ne sont point encore ouvertes, mais où les études sont déjà closes. Ce sont les dernières semaines de juillet. Dans les classes sans sanction, c’est-à-dire dans les trois quarts des classes, maîtres et élèves se préparent à ne rien faire en faisant fort peu de chose. Des lectures attrayantes plus souvent que des exercices de réflexion, des bains froids, des promenades après souper, tel est le régime de l’internat à l’époque dont il s’agit : il ne peut compromettre la santé de personne.

Mais, objecte-t-on, si les trois quarts des lycéens ne font rien dans la dernière quinzaine de juillet, pourquoi les garder au lycée ? Pour qu’ils puissent travailler pendant la quinzaine précédente, répond-on. En effet, si la distribution des prix était fixée au 15 juillet, les études commenceraient à fléchir à la fin de juin. Si on la fixait à la fin de juin, c’est la dernière moitié de ce mois qui serait compromise. Puisqu’il faut faire la part du feu, mieux vaut sacrifier les dernières semaines de juillet que celles qui les précèdent, parce qu’elles sont moins propices aux études.

En résumé, le travail de fin d’année n’est effectif, et partant fatigant, que pour les candidats aux écoles du gouvernement, et un peu aussi pour les aspirants au baccalauréat. Dans beaucoup de lycées de province, les candidats aux écoles suivent des classes spéciales, à l’intérieur de la maison, jusqu’au moment du concours qui, pour certaines régions, ne commence qu’au mois de septembre. Avancer l’ouverture des vacances, ce serait donc donner du loisir à ceux qui en ont déjà et non du repos à ceux qui en ont besoin.. Un tel résultat vaut-il la peine de troubler les habitudes et de rompre la quasi concordance entre les vacances de l’Université et celles du palais ? Ajoutons que la rentrée des classes à la mi-septembre désobligerait les familles qui tiennent à la villégiature au temps de la chute des feuilles : nous aurons alors énuméré les principaux motifs qui ont assuré le triomphe des conservateurs.

Cette victoire est-elle définitive ? Ville assiégée, ville prise, disait-on autrefois. Institution attaquée, institution compromise, peut-on dire aujourd’hui. Depuis longtemps, par la force même des chose l’ouverture des vacances tend à se rapprocher de la période des grandes chaleurs. Au Moyen Age, certains collèges fermaient leurs portes quand le Parlement de Paris fermait les siennes, du 1er septembre à la Saint-Martin. Dans la première moitié du XIXe siècle, c’était du 16 au 18 août que se prononçait en Sorbonne ce discours latin du Concours général, applaudi par tant de personnes qui ne le comprenaient pas. Aujourd’hui, c’est au commencement de ce mois que la Sorbonne rajeunie entend une harangue qui ne perd rien de sa valeur pour être prononcée en français. Un pas encore, et les distributions de prix coïncideront avec la solennité du 14 juillet.

Le changement arrivera d’une façon insensible, s’il arrive. Entraînés sur la pente, les chefs de l’Université avanceront chaque l’année l’heure bénie des collégiens, comme ils l’ont fait depuis trente ans. Les grands congés correspondront alors à l’époque de la moisson, à la satisfaction des écoliers aux goûts champêtres qui aimeraient à voir faucher les blés. Sera-ce mieux ? Ce sera autrement. Changement n’implique point progrès. En attendant, les mères sensibles peuvent se rassurer. Un médecin dont le nom fait autorité a dit : « J’ai vu parfois des collégiens revenir fatigués des bains de mer, j’en ai rarement vu sortir fatigués du collège ».

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