LE MARÉCHAL
Posté par francesca7 le 14 juillet 2013
PAR JEAN HENRI FABRE
Noirci plus qu’une taupe
par la suie et le charbon,
pin-pan, pin-pan ! le maréchal martelle,
sur l’enclume qui retentit,
son fer. L’atelier se remplit
d’un horrible jaillissement de lueurs et d’étincelles.
On dirait alors qu’un serpenteau
fuse sous le marteau.
Pin-pan, pin-pan ! Dans ses sourcils épaissis
en touffes de dur gazon, on voit
pleuvoir une averse ardente ; on entend
par moments grésiller sa barbe hérissée.
Il sue le noir maréchal,
en frappant son fer chaud.
Pin-pan, pin-pan, pin-pan ! L’encre coule et descend,
par gouttes, de ses bras musculeux,
de ses joues et de son front brûlés,
sur sa poitrine poilue comme un dessus de malle.
Que donnera travail si farouche ?
Que sortira-t-il de cet enfer ?
Pin-pan, pin-pan, pin-pan ! La chose est finie.
Qu’est-ce ? Un fer pour chausser
le sabot d’un âne, dépenaillé,
dévoré par la vermine et pelé par la gale.
Moi aussi, de mon franc métier,
je suis maréchal : sur le papier,
cri-cra, cri-cra, cri-cra ! je martelle la pensée.
La plume donne les coups
sur la page ; et dans le cerveau,
étincelle le feu de la forge embrasée.
Et je trime dur, tout grisé
par l’idée, tout accablé.
Cri-cra, cri-cra, cri-cra ! La plume n’est pas saucée
dans l’encre seulement. Oh ! non !
A mon avis ce n’est pas assez :
elle est amorcée d’un lambeau sanglant de l’âme.
Tu comprends, gai compagnon,
comme cela vous casse reins et tête,
cri-cra, cri-cra, cri-cra ! la folle farandole
de l’idée dans le cerveau
pour éclore de sa coquille ?
Ta forge n’a rien de tel pour user les moëlles.
Pelé, galeux plus que le tien
je connais un âne ; c’est le mien.
Cri-cra, cri-cra, cri-cra ! la page se noircit
pour le tirer d’un mauvais mal
qui en fait le pire animal.
Pour gale il a l’ignorance, et ce n’est pas tout encore.
Il a l’ignorance, mon roussin ;
il a dans la vue une verrue
dure, épaisse, venimeuse, vermine de l’âme,
qui ronge plus que la peau.
Il faut le tirer de là au plus vite.
Il faut, dans ses ténèbres, faire luire la flamme.
Bien que cela ne rapporte pas toujours son morceau de pain,
c’est oeuvre de valeur, n’est-ce pas, noir compère ?
Continuons donc à faire, chacun dans notre coin,
moi pour l’homme cri-cra, toi pour l’âne pin-pan.
Jean-Henri Fabre né de le 21 Décembre 1823 à St Léons, petite commune du canton de Vezins à quelques lieues de Millau dans le Haut-Rouergue. Il est le premier enfant d’Antoine Fabre et Victoire Salgues. Fabre est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur grâce à Duruy.
La découverte de l’alizarine rend obsolète ses brevets.
Il donne des cours du soir pour adultes qui obtiennent un franc succès.
En 1870 Les méthodes d’enseignement de Fabre déclenchent l’animosité des cléricaux et des conservateurs.
Il démissionne et part s’installer, en novembre, à Orange avec toute sa famille. Fabre a 47 ans, il est sans ressources en pleine guerre.
Dans les années qui suivent il écrit plus de 70 livres pour les élèves et pour les maîtres.
En 1913 Jean-Henri Fabre rédige une préface pour sa biographie écrite par le Docteur G. V. Legros : « La Vie de J.-H. Fabre, naturaliste, par un disciple », traduite en anglais : « Fabre, Poet of Science » par Bernard Miall.
Traduction d’extraits des « Souvenirs entomologiques » en anglais par Alexander Teixeira de Mattos : « The Life of the Caterpillar » .
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.