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    Dictionnaire amoureux de la France - Denis Tillinac.

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Le coeur de Louis XVII

Posté par francesca7 le 13 juin 2013

Qui n’a jamais rapporté chez lui une petite babiole, un souvenir emprunté sur son lieu de travail ? Une gomme, un croissant, la femme de son chef ? C’est humain. Le docteur Philippe-Jean Pelletan ne fait que succomber à ce petit travers quand, le 9 juin 1795, il empoche le coeur du gamin de la prison du Temple qu’il vient d’autopsier. Pour faire bonne mesure, il prélève également une touffe de cheveux. Pauvre ex-futur Louis XVII, enfant martyr. Son papa et sa maman ont été guillotinés, et lui se fait voler son petit coeur par un médecin indélicat.

Les derniers jours de l’orphelin royal font pitié. Depuis quelques semaines, il ne fait que s’affaiblir dans sa geôle. Sa maigreur devient effrayante. Son gardien, Étienne Lasne, s’en inquiète, il réclame la venue du docteur Desault, responsable de la bonne santé du jeune Capet. Mais celui-ci meurt le 1er juin. Le 5 juin, le docteur Pelletan est désigné pour lui succéder. C’est un ambitieux qui n’hésite pas à se montrer féroce révolutionnaire pour supplanter ses confrères. Médecin à l’Hôtel-Dieu, il est soupçonné de servir d’espion au Comité de sûreté générale pour dresser la liste des victimes à guillotiner à la prison Saint-Lazare. 

Quand le gardien du petit Louis lui fait parvenir un billet pour l’appeler au chevet du garçonnet, il ne montre aucun empressement. Il prend sa plus belle plume pour répondre : « Citoyens, l’état du malade ne peut être rendu très inquiétant par les circonstances que vous me détaillez. Quoique je sois extrêmement fatigué de mes travaux du jour, et qu’il soit onze heures du soir, je me transporterais sur-le-champ auprès de l’enfant si je sçavois lui être de la moindre utilité. » Cela sonne comme une condamnation à mort.

Le coeur de Louis XVII dans AUX SIECLES DERNIERS louis

Taches violettes, tumeurs et tubercules

Effectivement, le 8 juin, l’héritier du trône de France meurt. Une autopsie s’impose et, tout naturellement, elle est confiée au docteur Pelletan, assisté de trois autres médecins. Ils se présentent vers 11 heures du matin à la porte du Temple. On les mène jusqu’à une pièce où le petit cadavre gît sur un lit. Un premier examen montre des taches violettes, ce qui est habituel sur la peau d’un cadavre, et une putréfaction qui gagne déjà le ventre, le scrotum et l’intérieur des cuisses. Dans le rapport d’autopsie signé par les médecins, la présence de plusieurs tumeurs est signalée sur le corps. 

Pelletan ouvre la dépouille avec un bistouri. « À l’ouverture du ventre, il s’est écoulé plus d’une pinte de sérosité purulente, jaunâtre et très fétide ; les intestins étaient météorisés, pâles, adhérents les uns aux autres… Les intestins, ouverts dans toute leur longueur, étaient très sains intérieurement et ne contenaient qu’une petite quantité de matière bilieuse. » L’estomac et le foie, la rate, le pancréas, les reins, le coeur et la vessie sont eux aussi trouvés sains. « Le cerveau et ses dépendances étaient dans la plus parfaite intégrité. » Les médecins trouvent néanmoins de nombreux tubercules lymphatiques qui les amènent à conclure à « l’effet d’un vice scrofuleux existant depuis longtemps et auquel on doit attribuer la mort de l’enfant ». Traduction : les médecins supposent le garçonnet tuberculeux.

L’autopsie achevée, les confrères de Pelletan s’éloignent pour le laisser recoudre le cadavre seul. C’est alors que le médecin prélève d’abord une touffe de cheveux, qu’il remet à l’officier municipal Damont en guise de souvenir. Puis il s’empare du coeur qu’il glisse dans sa poche. Connaissait-il le docteur Chris Barnard (auteur de la première transplantation cardiaque en 1967, NDLR) ? « Je l’entourai de son, l’enveloppai d’un linge et le mis dans ma poche, sans être aperçu », écrira-t-il quelques années plus tard. « J’espérais bien qu’on ne s’aviserait pas de me fouiller en sortant de la maison. » Exact. Le corps du jeune Capet est inhumé au cimetière Sainte-Marguerite.

Insurrection parisienne

De retour chez lui, Pelletan dépose le coeur dans un vase rempli d’esprit de vin – de l’alcool éthylique -, qu’il planque derrière les livres de sa bibliothèque. Une dizaine d’années plus tard, le voleur retrouve le vase, dont l’alcool s’est totalement évaporé. Le coeur est devenu un petit morceau de cuir qu’il jette dans un tiroir avec d’autres « souvenirs ». Un de ses élèves, à qui il avait raconté son larcin, dérobe à son tour le coeur en 1810. 

Cela ne lui porte pas chance, car il meurt de la tuberculose peu après. Juste avant d’expirer, il demande à sa future veuve de rendre le coeur à Pelletan. En le récupérant, ce dernier décide alors de le retourner à la famille royale. Mais il a beau avoir le coeur sur la main, celle-ci doute de l’origine de l’organe. Pelletan fournit des preuves écrites, fait appel à des témoignages, en vain. Le coeur lui reste sur les bras. Faute de mieux, le 23 mai 1828, il remet la relique à monseigneur de Quélen, archevêque de Paris, qui la reçoit « comme un dépôt sacré » et promet de faire son possible pour la remettre au dernier tonton du gamin encore en vie, Charles X. Pelletan peut alors s’éteindre, le coeur léger.

Mais l’archevêque n’a pas le temps d’honorer sa promesse, car, durant les Trois Glorieuses de juillet 1830 qui marquent l’insurrection parisienne contre Charles X, l’archevêché est pillé. Un ouvrier imprimeur s’empare de l’urne de cristal contenant le coeur avec l’intention de le rapporter au fils de Pelletan, mais le brave homme se fait disputer son butin par un autre insurgé. Dans la bagarre, l’urne se brise sur le sol.

Deux siècles d’errance

Lescroart, c’est le nom de l’ouvrier, doit s’enfuir les mains vides. Quelques jours plus tard, quand Paris retrouve son calme, il revient avec le fils Pelletan pour fouiller l’archevêché. Miracle, ils trouvent le coeur dans un tas de sable. Philippe-Gabriel Pelletan le conserve jusqu’à sa mort en 1879, puis le lègue à l’architecte Prosper Deschamps. Lequel le lègue à un proche. La relique est devenue la patate chaude qu’on se refile. De fil en aiguille, elle échoue entre les mains d’un certain Édouard Dumont, qui la remet en 1895 à un représentant du duc de Madrid, prétendant légitimiste au trône de France. Après un crochet par Venise, le coeur prend enfin un repos bien mérité dans la chapelle du château de Frohsdorf, près de Vienne.

Mais voilà que la mortelle randonnée reprend ! Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la princesse Massimo, fille du duc, emporte le coeur en Italie. En 1975, les filles de la princesse l’offrent au Mémorial de France à Saint-Denis pour qu’il soit déposé dans la nécropole des rois de France. Là où il aurait toujours dû se trouver. Enfin, en 2000, une analyse ADN confirme que le coeur appartient à un parent très proche de Marie-Antoinette. Forcément à son fils. Aujourd’hui, l’urne funéraire contenant le coeur de Louis XVII est dans la chapelle des Bourbons. Enfin !

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