Les Lavoirs ou les blanchisseuses à Paris
Posté par francesca7 le 30 mai 2013
Histoire du blanchissage du linge à Paris
Jusqu’au XVIIIème siècle, le linge parisien se blanchit dans les faubourgs Saint-Marcel et dans le quartier des Gobelins.
D’autre part, dès le début du XVIIIème siècle, les blanchisseuses disposent de petits bateaux et l’obligation de laver dans des bateaux spéciaux s’étend.
On construit alors des bateaux selles, plats et couverts, dont les bords sont garnis de tablettes. Les propriétaires des bateaux perçoivent une taxe de quatre sous par personne, plus un sou de location pour l’indispensable baquet.
Petit à petit, le métier s’organise et les premiers entrepreneurs s’installent, notamment sur les berges de la Seine à Paris. Moyennant un salaire mensuel, ils blanchissent chaque jour le linge des grandes maisons qui les emploient.
Par mesure d’hygiène, un édit du 26 février 1732 interdit « à tous les blanchisseurs de lessive de continuer leur blanchissage dans le lit de la Bièvre, au-dessus de la Manufacture Royale [des Gobelins] et du clos Payen ». Les blanchisseurs se transportent extra-muros et s’installent à Gentilly, Arcueil et Cachan. En 1837 on compte 113 blanchisseries à Gentilly. La Bièvre commence à n’être plus qu’un égout à ciel ouvert.
Le développement de l’hygiène et des soins de propreté, la réduction du temps de travail (loi du 30 mars 1900) entraînent un énorme développement de la profession. [...] En 1900, les patrons blanchisseurs d’Arcueil-Cachan fondent avec ceux de Gentilly, Bourg-la-Reine, Bagneux, l’Hay-les-Roses et Antony, le Syndicat des Patrons-Blanchisseurs d’Arcueil-Cachan.
A Boulogne, près de Paris, où l’eau est réputée très peu calcaire, on creuse des trous dans la berge de la Seine. Les blanchisseuses descendues dedans, ont le linge posé sur le sol, juste à la bonne hauteur pour le laver.
L’Illustration, en mars 1874, publie un dessin montrant le marché aux blanchisseuses dans la rue aux Ours, où celles-ci vont chercher du travail.
Les ouvrières blanchisseuses, à l’exception de celles employées dans la grande industrie et les vastes établissements, travaillent en général pour deux ou trois patrons. Elles touchent un salaire, plus le droit au lavage gratuit de leur linge personnel et de celui de leur famille. Les hommes, très minoritaires, sont presque exclusivement employés comme garçons de lavoir, livreurs ou attachés à des travaux mécaniques trop durs pour les femmes.
Les ateliers de petite blanchisserie sont insalubres, au rez-de-chaussée, dans des ruelles où l’air ne pénètre jamais. Les buanderies sont uniquement aérées par la porte, le linge blanchi bouchant les fenêtres. La vapeur qui se dégage des fers chauffés au charbon de bois et au gaz pollue l’air de ces bouges étroits et encombrés. La législation visant à améliorer les conditions de travail reste mal appliquée.
Il faut du courage pour accomplir, par tous les temps et dix heures par jour, en bord de Seine ou à la buanderie, ce labeur consistant à battre le linge, à le tremper, le tordre, le savonner, l’essorer, le plier. Le seul moment de détente est l’heure de la collation, vers 3 heures et demie ou 4 heures de l’après-midi, lorsque la patronne offre aux laveuses le verre de vin ou le café. Mais le linge doit être prêt si l’on veut conserver
sa place. Une place qu’il faut payer 5 centimes de l’heure et qui rapporte de 3 F à 4 F par jour.
On travaille de très longues heures, six jours sur sept, sans congés payés, retraites ou congés maladies. Le travail des blanchisseuses et garçons de lavoirs est très physique. Celles qui pratiquent ce travail deviennent rarement centenaires. Très tôt, elles souffrent de rhumatismes, occasionnés par l’eau glaciale, ou de pleurésie, provoquée par les courants d’air. Les buandières meurent à 50 ou 60 ans, quelquefois plus jeunes, épuisées par l’effort ou rongées par l’alcool.
L’alcoolisme constitue un grand fléau : les trois quarts des ouvriers absorbent régulièrement apéritifs, rhum du matin et absinthe. De nombreux cafés s’installent dans les grands centres de blanchissage. ** cf note Extrait de « les Faits-Divers Illustrés » du 14 janvier 1909.
La profession est par ailleurs éprouvante. « Toute la journée dans un baquet jusqu’à mi-corps, à la pluie, à la neige, avec le vent qui vous coupe la figure ; quand il gèle, c’est tout de même, il faut laver… On a ses jupes toutes mouillées dessus et dessous » écrit V. Hugo dans Les misérables.
En outre, le linge souillé augmente les risques de tuberculose, ce fléau du siècle.
La tuberculose est responsable de plus de la moitié des décès chez les blanchisseuses et repasseuses contaminées par le linge, rarement désinfecté à son arrivée. Les lésions de la peau, dues à l’emploi de lessives corrosives, les lombalgies, les varices, les accouchements prématurés sont le lot commun de ces femmes qui portent des charges trop lourdes et travaillent sans cesse debout.
Le danger est tel que, en 1905, l’Administration estime nécessaire d’intervenir dans les lingeries industrielles, pour sauvegarder tant la santé du public que celle des blanchisseuses.
Déjà, le transport en vrac du linge sale dans les trains de voyageurs, qui se faisait sans précaution aucune, est interdit. Désormais, ce linge ne pourra être introduit dans les ateliers qu’enfermé dans des sacs soigneusement clos. Avant tout triage et toute manipulation, le linge devra être désinfecté, en particulier celui en provenance des hôpitaux. Les ouvrières devront être pourvues de surtouts de protection et seront tenues de se laver à chaque sortie de l’atelier. Enfin, il leur sera interdit de consommer un quelconque aliment ou une quelconque boisson dans les ateliers de linge sale…
Un rapport de la chambre syndicale des blanchisseurs, adressé vers 1880 au ministère de l’intérieur, évalue à 104 000 personnes la population que le blanchissage fait vivre à Paris. Il y a, parmi elles, 94 000 femmes et 10 000 hommes, soit presque 10 femmes pour un homme.
Au début du XXème siècle, l’entretien du linge de la capitale occupe 35 000 personnes à Paris et 25 000 en banlieue, dont une majorité de femmes.
La corporation des blanchisseuses
Autrefois, les corporations féminines étaient le seul cadre où les femmes échappaient à la lourde tutelle masculine.
La corporation des blanchisseuses est très importante, non seulement en nombre, mais aussi par sa présence quotidienne dans la rue. Car elles lavent mais aussi livrent le linge. Voir ainsi passer de nombreuses femmes et jeunes filles seules transportant du linge fait rêver plus d’un homme sur leur passage. Le linge transporté, entre autres, permet de les identifier. En 1868, Adrien Marx, pour Le Petit Journal parle de blanchisseuses :
« Vous avez certainement remarqué, comme moi, les voitures de blanchisseuses que la banlieue nous expédie tous les jours et qu’on voit stationner à Paris devant la porte des maisons. Ce sont, pour la plupart, d’énormes carrioles à deux roues recouvertes d’une bâche qui protège les paquets de linge contre les intempéries de l’air. Le cheval qui traîne cette cargaison immaculée est généralement dirigé dans les rues par une grosse femme dont les façons sont légèrement brusques… Observez la commère, lorsqu’elle ravive par un coup de fouet l’énergie défaillante de son vieux bidet. Ses traits se contractent, son visage prend une physionomie virile, et sa bouche lâche un Hue ! qui fait trembler les vitres d’alentour. Eh bien ! Ne vous y trompez pas : ces luronnes sont presque toutes d’excellentes mères de famille cachant sous la rudesse de leur allure des sentiments exquis, un cœur d’or et de précieuses qualités, dont beaucoup de belles dames sont dépourvues, Elles ne craignent pas, j’en conviens, de laisser voir leurs chevilles empâtées quand elles quittent ou gravissent le haut marchepied de leurs carrosses. La peau de leurs bras hâlée par le grand air et les vagues du fleuve n’a aucune analogie avec le satin, et leurs doigts macérés dans l’eau de savon manquent de la distinction et de la grâce, inhérentes aux mains des duchesses. Mais les blanchisseuses de la campagne ont d’autres avantages… »
Octave Uzanne, dans « Parisiennes de ce temps », ouvrage paru en 1900, parle de la dure vie des femmes de lavoir, « située au plus bas degré de la corporation. (…) Le lavoir où elle se casse les reins, ployée en deux, à rincer à grands coups de chien, à taper à larges coups de battoir le linge étuvé, est un vaste hangar, ouvert à tous les vents, où en toute saison elle vit, les bras plongés dans l’eau, suant et grelottant à la fois, tant elle met d’action à tremper, couler, savonner, frotter, essorer, sécher et plier la marchandise ».
C’était un métier de maîtresses femmes, de femmes fortes, courageuses et costaudes. C’était un métier de « fortes en gueule ».
Elles avaient même la réputation d’être de sacrées buveuses, si l’on en croit Octave Uzanne : « La femme de lavoir ne supporterait pas cette existence enragée si elle ne buvait ; l’alcool la brûle et la soutient. C’est une pocharde terrible, et elle ne sort guère d’un état de demi-ébriété furibonde. » Uzanne poursuit son étude de mœurs et reconnaît en elles des dames plutôt dévergondées, ce qui n’était pas sans déplaire aux hommes. Elles battaient la mesure à grands coups de battoir. Les langues y étaient aussi agiles que les bras qui lavaient. Elles maniaient le cancan aussi sûrement que la brosse. Et, les crêpages de chignon n’étaient pas rares. Témoin la scène racontée par Zola, cette bagarre mémorable entre une Gervaise offusquée et une dénommée Virginie, jolie fille impudente, dont la sœur venait de conquérir Lantier, l’amant de Gervaise. Commencée à coups de seau d’eau, l’échauffourée se termina par une retentissante fessée administrée par Gervaise sur le derrière rebondissant de Virginie.
De condition très modeste, ces ouvrières et ouvriers sont des personnes énergiques, faisant un travail physique et aimant bien s’amuser ; car la vie des blanchisseuses et des rares hommes présents dans les blanchisseries, garçons de lavoirs qui portent l’eau et patrons, ne comporte guère de loisirs.
Or, la Mi Carême (jadis aussi la fête des débitants de charbon et des porteurs d’eau) est une grande fête féminine. Qui plus est, populaire. L’importante corporation des blanchisseuses va l’organiser.
Une fois par an donc, la Mi Carême, qui fait partie de la grande fête populaire du Carnaval de Paris, sera la journée des blanchisseuses.
Lieux de travail pénible, les Halles, lavoirs et marchés deviennent pour elles, lieux de liberté en ce jour de fête et de congé. En 1868, Timothée Trimm appelle la Reine du lavoir, « souveraine du battoir» et une coupure de presse du 26 mars 1870, conservée dans les dossiers Actualités Carnaval de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, appelle la fête des blanchisseuses « la fête des battoirs ».
En 1868, Timothée Trimm appelle la Reine du lavoir, « souveraine du battoir» et une coupure de presse du 26 mars 1870, conservée dans les dossiers Actualités Carnaval de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, appelle la fête des blanchisseuses « la fête des battoirs ».
Ce jour-là, comme l’écrit Le Constitutionnel en 1846, les blanchisseuses élisent leur reine dans chaque grand lavoir, et vont ensuite à l’église, vêtues de blanc. Aux blanchisseuses de Paris, viennent se joindre celles de la banlieue, que l’on voit arriver par toutes les barrières avoisinant la Seine, vêtues de blanc aussi, et voiturées dans les charrettes de leurs patron.
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