Salaün le Fou
Posté par francesca7 le 5 mai 2013
Vie de Salaün ar Foll
ND du Folgoët
Récit d’Albert Le Grand publié en 1636
L’histoire Miraculeuse de Nostre Dame du Follcoat, au Diocese de Leon, a esté ecrite par Jean de Land-Goëznou, Abbé du Monastere de Land-Tevenec, Ordre de S. Benoist, Diocese de Cornoüaille, lequel est témoin oculaire; & de luy l’a prise Messire René Gaultier (1) qui l’a insérée en sa Legende, & est telle: Environ l’an de grace 1350, seant en la Chaire Apostolique le Pape Clement VI, Charles IV du nom tenant les resnes de l’Empire, & le Roy Jean regnant en France, durant le plus fort des guerres Civiles entre le Duc Jean de Montfort (depuis surnommé le Conquerant) et Charles de Chastillon, dit de Blois, Comte de Penthévre, devers sa femme, pour la Duché de Bretagne, Guillaume de Roche-fort estant Evesque de Leon, vivoit, au territoire de Les-Neven, un pauvre garçon idiot, nommé Salaun, qui signifie Salomon, lequel avoit l’esprit si grossier, qu’encore qu’il fust envoyée de bonheur aux écolles, jamais il ne peut apprendre autre chose que ces deux mots: Ave Maria; lesquels il récitoit continuellement avec grande devotion & consolation de son Ame.
II. Ses parens estans decedez, il fut contraint de mendier sa vie, ne sçachant aucun mestier pourrait gagner. Il faisoit sa demeure dans un bois, à l’extrémité de la Paroisse de Guic-Elleaw, prés d’une fontaine; n’usant d’autre lict que la terre froide, sur laquelle il se couchoit, à l’ombre d’un arbre tortu, qui luy servoit de Ciel & de pavillon. Il estoit pauvrement vestu, deschaux la plus part du temps. Il alloit, tous les matins, à la Ville de Les-neven, distante de demie lieuë de son bois, où il entendoit la Ste Messe, pendant laquelle, il prononçoit continuellement ces mots: Ave Maria, ou bien en son langage O! Itroun Guerhez Mari, c’est-à-dire: O! Dame Vierge Marie! La Messe oüye, il alloit mendier l’aumône par la ville de Les-Neven, que luy donnoient volontiers les Citoyens & Soldats de la Garnison; puis; s’en retournant à son Hermitage, rompoit son pain & le trempoit dans l’eau de sa fontaine & le mangeoit sans autre assaisonnement que le saint Nom de Marie, qu’il repetoit à chaque morceau. Lorsqu’il faisoit froid, il se plongeoit dans l’eau de sa fontaine jusques aux aisselles et y demeuroit longtemps, chantant toûjours quelque couplet ou rythme Breton à l’honneur de N. Dame: puis, ayant repris ses accoutremens, il montoit dans son arbre, &, empoignant une branche, se bransloit en l’air, criant à pleine teste: O! Maria, O! Maria!
III. Les villageois du voisiné, voyans ses déportements, le jugerent fol, & ne l’appeloit-on partout autrement que Salaun-ar-foll, c’est à dire, Salomon le fol. Une fois, fut rencontré par une bande de Soldats qui couroient la poule sur la campagne, lesquels l’arresterent & luy demanderent qui vive: « Je ne suis (dit-il) ny Blois, ny Mont-fort (voulant dire, qu’il n’estoit partisan ny de Charles de Blois, ni du Comte de Mont-fort), VIVE LA VIERGE MARIE! » A ces paroles, les Soldats se prirent à rire, l’ayant foüillé, ne luy trouvant rien qui leur fust propre, le laisserent aller. Il mena cette maniere de vie l’espace de 39 ou 40 ans, sans jamais avoir offensé ny fait tort a personne. Enfin, environ l’an 1358, il tomba malade, & ne voulut, pour cela, changer de demeure, quoy que les habitans des villages circonvoisins luy offrissent leurs maisons. Il demanda le Curé de Guic-Elleaw, auquel il se confessa, &, peu aprés, deceda paisiblement, le premier de Novembre, jour de Toussaints. Son corps fut enterré dans le cimetiere de Guic-Elleaw (& non au lieu où il mourut, qui estoit terre prophane) sans autre solemnité. Mais Dieu vouloit que sa sainte Mere fust glorifiée en ce sien serviteur, & fit paroistre aux yeux de tous combien cette devotieuse affection qui portoit à la glorieuse Vierge Marie luy avoit esté agreable.
IV. Car, comme on ne parloit plus de Salaun & que sa memoire sembloit avoir esté ensevelie dans l’oubliance, aussi-bien que son corps dans la terre, Dieu fit naistre sur sa fosse un Lys blanc, beau par excellence, lequel répandoit de toutes parts une fort agreable odeur; &, ce qui est plus admirable, c’est que dans les feuilles de ce Lys estoient écrites en caractere d’Or ces paroles: AVE MARIA! Le bruit de cette merveille courut, en moins de rien, par toute la Bretagne, de sorte qu’il s’y transporta une infinité de monde pour voir cette fleur miraculeuse, laquelle dura en son estre plus de six semaines, puis commença à se flétrir; & lors fut advisé, par les Ecclesiastiques, Nobles & Officiers du Duc, qu’on fouiroit tout à l’entour de sa tyge, pour sçavoir d’où elle prenoit sa racine, & trouva-t-on qu’elle procedoit de la bouche du corps mort de Salaun; ce qui redoubla l’estonnement de tous les assistans, voyans un témoignage si grand de la Sainteté & Innocence de celuy que, quelques années auparavant, ils estimoient fol. Lors, par deliberation commune des Seigneurs qui se trouverent là & des Officiers du Duc, fut conclu est arresté qu’en memoire de cette merveille on édifieroit, au lieu mesme où Salaun avoit fait son Hermitage, une Chappelle en l’honneur de Nostre-Dame, qui seroit appelée Ar-Follcoat, c’est à dire le bois du fol. Le Duc Comte de Mont-fort, adverty de ces merveilles & de la deliberation de ces Seigneurs, approuva leur dessein, & promit à Dieu & à la Glorieuse Vierge, que si, par son assistance, il devenoit paisible possesseur de son heritage de Bretagne, il lui édifieroit l’Eglise du Follcoat, la dotteroit & donneroit salaire aux Ecclesiastiques pour y faire le divin Service.
V. Et de fait, ce Prince, ayant deffait ses ennemys à la bataille d’Auray, l’an 1364, où son competiteur Charles de Blois fut tué, s’alla faire reconnoistre par toutes les villes de son Duché, &, estant à Les-Neven, au mois de Janvier 1365, il fit ladite fondation, & assigna des rentes pour les Doyens, Chanoines, Chappellains &, Sallette du Follcoat, fit prendre les fondemens de l’Eglise & y posa la premiére pierre. On continua le bastiment jusqu’à l’an 1370, que la guerre commença entre le Roy de France Charles VI (1) & le Duc, de l’obeïssance duquel la plupart de ses sujets se revolterent, en haine de ce qu’il avoit logé des Garnisons Angloises à Morlaix, Kemper & Les-Neven, où ils commirent des insolences si grandes, que tout le païs se rua sur eux & les chasserent hors. Cette guerre dura jusques à l’an 1381; pendant laquelle, l’ouvrage ne s’avança aucunement, les deniers qui y estoient destinez ayant esté divertis pour subvenir aux frais de la guerre, laquelle estant sur le point de se rallumer, l’an 1388, à cause de l’emprisonnement du Connestable Olivier de Clisson au Chasteau de l’Hermine, à Vennes; &; l’an 1392, le Roy de France Charles VI menaçant de fondre sur la Bretagne, les susdits deniers furent de rechef arrestez pour survenir aux necessitez occurrantes du païs; enfin, le Duc, mourant au Chasteau de Nantes, l’an 1399, le jour de Toussaints, enchargea trés-expressement à son fils, le Comte de Mont-fort, qu’au plustost que faire se pourroit il s’aquitast de cette fondation; à quoy il ne manqua.
VI. Car, incontinent qu’il fut de retour de France, en l’an 1404, il vint à Les-Neven; il fit son entrée & reçeut les hommages des Nobles de la Comté de Leon, fut au Follcoat, fit venir des ouvriers de toutes parts et y fit continuellement travailler, en sorte que l’Eglise, parfaite, fut dédiée, l’an 1419, par Allain, Evesque de Leon, peu avant qu’il fut transféré à l’Evesché de Treguier par le pape Martin V. Cette Chapelle est l’un des plus devots Pelerinages de toute la Bretagne, renommée par tout pour les grands Miracles que Dieu y a opéré par l’intercession de sa sainte Mere. Tous nos Princes, depuis Jean le Conquereur jusques à François II, y ont fait plusieurs voyages, &, en leurs affaires les plus urgentes, s’y sont voüez. La Reyne Anne de Bretagne, estant venue faire un tour en son païs de Bretagne, y vint en Pelerinage, l’an 1506, y fit sa neufvaine, y laissa de riches presens, comme aussi le Roy François Ier, en Septembre l’an 1532, à l’issuë des Estats de Vennes, où la Duché de Bretagne fut incorporée & inseparablement unie à la Couronne de France.
Cette Histoire est prise de René Benoist, en sa legende, laquelle il a tiré d’un extrait authentique tiré du manuscrit Original, à luy envoyé par feu Rolland de Neufville, Evesque de Leon et Abbé de Mont-fort, partie aussi des memoires manuscrits de Messire Yves le Grand, Chanoine de S. Paul de Leon, Recteur de Ploudaniël, Aumosnier et Conseiller du Duc François II, le tout rendu conforme aux Annales de Bretagne.
Frère Albert Le Grand
Religieux, Prêtre de l’Ordre des Frères Prêcheurs de Morlaix
Vie des Saints de la Bretagne Armorique - 1636
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