Les coquettes parisiennes
Posté par francesca7 le 1 mai 2013
LA MODE de PARIS
(D’après Les Modes de Paris 1797-1897, par Octave Uzanne, paru en 1898)
Elle en avait constamment un toute la matinée qu’elle drapait sur ses épaules, avec une grâce que je n’ai vue qu’à elle. Bonaparte, qui trouvait que les châles la couvraient trop, les arrachait et quelquefois les jetait au feu ; alors elle en redemandait un autre. Elle achetait tous ceux qu’on lui apportait, de quelque prix qu’ils fussent ; je lui en ai vu de huit, dix et douze mille francs. Au reste, c’était un des grands luxes de cette Cour : on dédaignait d’y porter ceux qui n’auraient coûté que cinquante louis, et on se vantait du prix qu’on avait mis à ceux qu’on s’y montrait. »
La fureur des châles de cachemire, de Perse et du Levant, ainsi que tout le goût oriental qui dominait alors dans le monde des grandes coquettes, provenaient de l’expédition d’Egypte et des étoffes que nos vaisseaux avaient rapportées du Caire et d’autres lieux.
Joséphine qui avait déjà, à son retour d’Italie, mis en vogue les modes antiques dans les parures et principalement pour les bandeaux en camées, les bracelets et les pendeloques d’oreille, devait être aussi la première à faire circuler les broderies orientales, les turbans tissés d’or et toutes les soieries des Indes. D’humeur oisive et paresseuse, n’ayant aucun goût pour la littérature, ne lisant jamais, écrivant le moins possible, peu faite pour les travaux intellectuels, sa nature passive s’était entièrement donnée aux jouissances de la toilette et à l’ornementation de ses jardins et appartements.
Elle fuyait le théâtre et n’y allait guère qu’en compagnie de l’Empereur ; mais, sans sortir de son cercle, elle avait l’art de gaspiller l’or à pleines mains, au point d’en irriter Bonaparte qui cependant calculait peu et ne refusait rien à sa femme. La journée se passait en toilettes diverses ; le soir, elle apportait plus de recherche et d’élégance encore dans la disposition de ses robes ; généralement Joséphine se coiffait simplement, à la manière antique, entremêlant dans ses beaux cheveux noirs, relevés sur le haut de la tête, des guirlandes de fleurs, des résilles de perles ou des bandelettes constellées de pierres précieuses.
Le plus souvent elle portait ces robes blanches dont Napoléon raffolait et qui étaient faites d’un tissu de mousseline de l’Inde si fin et si clair qu’on eût dit une robe de brouillard ; ce tissu oriental ne coûtait pas moins de cent à cent cinquante francs l’aune. Au bas de la jupe se trouvaient des festons d’or brodé et de perles, et le corsage, drapé à gros plis, laissait les bras nus et était arrêté sur les épaules par des camées, des boucles de diamants ou des têtes de lion d’or formant agrafes.
L’Impératrice avait, comme la plupart des grandes élégantes de l’Empire, la curieuse préoccupation d’assortir toutes ses toilettes à la couleur du mobilier qui devait lui servir de décor et de repoussoir ; une robe d’un bleu mourant convenait aux salons de brocatelle jaune et une robe de Cour en velours vert myrte s’encadrait seulement dans des tentures de damas de soie ponceau. C’était là un grand souci pour toutes les dames aimant à paraître dans le triomphe de leurs atours, et, assure-t-on, lorsque la princesse Borghèse, ci-devant Mme Leclerc, fut reçue à Saint-Cloud, au lendemain de son mariage, elle faillit mourir de dépit en étalant sur le bleu profond des divans une somptueuse tunique de brocart vert entièrement brodée de brillants. Cette délicatesse était exquise ! que ne s’est-elle perpétuée !
Mme de Rémusat, à qui il faut bien revenir pour tous les petits bavardages de toilette et les commérages du Palais, ne cache rien des prodigalités de Joséphine. « La moindre petite assemblée, le moindre bal lui étaient une occasion, dit-elle, de commander une parure nouvelle, en dépit des nombreux magasins de chiffons dont on gardait les provisions dans tous les palais, car elle avait la manie de ne se défaire de rien. Il serait impossible de dire quelles sommes elle a consommées en vêtements de toute espèce : Chez tous les marchands de Paris on voyait toujours quelque chose qui se faisait pour elle. Je lui ai vu, poursuit sa Dame du Palais, plusieurs robes de dentelle de quarante, cinquante et même cent mille francs. Il est presque incroyable que ce goût de parure si complètement satisfait ne se soit jamais blasé. Après le divorce, à la Malmaison, elle a conservé le même luxe, et elle se parait même quand elle ne devait recevoir personne… Le jour de sa mort, elle voulut qu’on lui passât une robe de chambre fort élégante, parce qu’elle pensait que l’Empereur de Russie viendrait peut-être la voir. »
Elle a donc expiré, – la sympathique femme ! – toute couverte de rubans et de satin couleur de rose. On conçoit que cette passion de l’Impératrice pour le luxe et la dépense devait causer d’émulation à la Cour et ce qu’il fallait chaque jour inventer, combiner, faire exécuter pour paraître honorablement autour d’elle, sans risque de faire tache ou d’indisposer Sa Majesté. La reine Hortense, la jeune épouse de Louis Bonaparte, déployait une grande richesse dans sa mise selon le ton de la Cour ; mais elle apportait dans son luxe beaucoup de discrétion, d’ordre et d’économie. Tel n’était pas l’esprit de Caroline Murat et de la princesse Pauline Borghèse, qui étaient prises de la fureur d’éclipser leur belle-sœur et qui mettaient toute leur vanité, tout leur plaisir dans la parure et l’ostentation.
Furieuses d’être placées… elles, – des Bonaparte, – au-dessous d’une Beauharnais dans la hiérarchie de l’Empire, elles ne savaient que trouver pour accentuer leur rivalité avec Joséphine et la piquer au jeu sous des allures cordiales et affectueuses. Elles ne paraissaient jamais aux Tuileries que dans des habits de cérémonie qui coûtaient pour le moins quinze à vingt mille francs et qu’elles avaient parfois la fantaisie de surcharger, au milieu de mille torsades de broderie, de tous les joyaux les plus rutilants de leurs cassettes. C’était là une note comique.
Parmi les grandes coquettes de la cour, Mmes Savary, plus tard duchesse de Rovigo, et Maret, future duchesse de Bassano, ainsi que Mme de Canisy, étaient mises au premier rang après les princesses ; on comptait qu’elles dépensaient annuellement plus de vingt mille écus pour leur toilette, ce qui était, relativement à la valeur de l’argent au commencement de ce siècle, une somme considérée comme excessive. Dans le fameux quadrille exécuté par la suite : Les Péruviens allant au Temple du Soleil, on calcula que le nombre de diamants porté par les dames de l’Empire se chiffrait par une somme de vingt millions de francs ; on ne manqua pas de crier à l’impossible, à la féerie, comme si Aladin en personne fût venu aux Tuileries. – A la fin de ce siècle, en ce moment même, nous serions plus croyants et médiocrement ébourriffés par ce chiffre de pierreries.
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