A la mode 1800
Posté par francesca7 le 18 avril 2013
(D’après Les Modes de Paris 1797-1897, par Octave Uzanne, paru en 1898)
Il arrivait à elle en conquérant et dédaigneux des sièges en règle ; il lui fallait lire dans deux beaux yeux que la place se rendait, et que là comme ailleurs la victoire lui était assurée. Au fond, comme la plupart des hommes de guerre, ce fut un piètre amoureux, plus despote que tendre, parfois brutal, souvent cynique, ayant comme un vernis de morale bourgeoise qu’il laissait voir à tout propos. Joséphine fut la seule femme qui, par ses abandons, sa douceur de créole, son manque de résistance et ses larmes, ait su le captiver quelque temps ; encore dut-elle subir toutes les fantaisies de ce maître inflexible qui poussait la cruauté jusqu’à attiser sa jalousie par le récit détaillé de ses caprices.
Mlle Aurillon, dans ses Mémoires, nous en fournit la preuve : « Comme l’Empereur satisfaisait ses petites passions sans que le sentiment y entrât pour quelque chose, il sacrifiait sans difficulté à sa femme les objets de sa jalousie; il faisait plus, et en cela je ne pouvais m’empêcher de le désapprouver fort ; lorsque l’Impératrice en parlait, il lui en disait plus qu’elle ne demandait à en savoir, lui citait même des imperfections cachées et lui nommait, à propos d’un autre aveu, telle ou telle dame de la Cour, dont il n’était nullement question, et qui n’avait rien à lui refuser. »
Napoléon était, il faut bien le dire, intrigué de toute part, aussi bien par des billets doux que par des démarches personnelles. Son génie, ses exploits incroyables, le prodigieux de sa fortune étaient bien faits pour bouleverser l’imagination de toutes les femmes et jeunes filles de l’univers ; bien plus, son visage (l’admirable portrait du baron Gros en est le témoignage) avait une beauté particulière, inoubliable, un charme à nul autre pareil, comme une attirance puissante que devaient sentir toutes les créatures de sa Cour ; aussi comprend-on qu’arrivé à l’Empire il ait fait tourner la tête de toutes les grandes coquettes de la capitale.
Constant, son valet de chambre qui, lui aussi, a laissé des Mémoires, se défend d’avoir jamais ouvert la porte aux innombrables solliciteuses d’amour qui venaient l’assiéger chaque jour : « Je n’ai jamais voulu, dit-il, à ce propos, me mêler d’affaires de cette nature ; je n’étais pas assez grand seigneur pour trouver un tel emploi honorable. Ce n’est pourtant point faute d’avoir été indirectement sondé, ou même ouvertement sollicité par certaines dames qui ambitionnaient le titre de favorites, bien que ce
titre ne donnât que fort peu de droits et de privilèges auprès de l’Empereur… « Quoique Sa Majesté prit plaisir, dit-il, à ressusciter les usages de l’ancienne cour, les secrètes attributions du premier valet de chambre ne furent cependant pas rétablies, et je me gardai bien de les réclamer, assez d’autres étaient moins scrupuleux que moi. » Ce Constant déborde de dignité !
Parmi ses proches, hommes et femmes, Bonaparte trouva en effet plus de complaisance, et l’histoire anecdotique nous révèle mille et une aventures curieuses où de grands généraux et des parentes très proches de l’Empereur ne refusèrent pas de s’entremettre pour complaire aux fantaisies d’un moment du vainqueur de l’Autriche. Mais il ne rentre pas dans notre programme de parler ici de ces frivoles amours ; ces croquis de mode doivent s’arrêter à l’alcôve des monarques et même ne mettre en scène que ces personnages vagues qui, de tous temps, sont comme le porte-manteau des costumes et des idées. Aussi laisserons-nous Napoléon à ses gloires et à ses historiens, pour ne jeter qu’un rapide coup d’œil sur les aimables coquetteries de son règne, ainsi que sur les fastes et les pompes du Paris de 1806 à 1809.
L’Impératrice Joséphine avait six cent mille francs pour sa dépense personnelle, plus environ cent trente mille francs pour sa cassette et ses aumônes. On pourrait croire que cette somme était plus que suffisante pour faire face aux toilettes ordinaires et extraordinaires de sa Gracieuse Majesté ; mais Joséphine était si prodigue, si généreuse, si étourdie, si folle en ses caprices qu’elle se voyait continuellement endettée et obligée d’avoir recours à la bourse de l’Empereur.
Dans son intérieur, aux Tuileries, c’était le désordre même ; ses appartements étaient sans cessé assiégés de parents et de petits arrière-cousins pauvres, de marchandes à la toilette, de bijoutiers, d’orfèvres, de tireuses de cartes, de peintres et de miniaturistes qui venaient faire ces innombrables portraits sur toile ou sur ivoire qu’elle distribuait si aisément à tous ses amis, même aux négociants de passage et à ses filles de chambre. Elle ne pouvait se soumettre à aucun décorum ni à aucune étiquette dans cette vie privée où son indolence était à l’aise au milieu du fouillis des étoffes, des tapis bouleversés, des ballots entr’ouverts.
Elle avait fait de ses petits salons un temple à la toilette où tous les marchands étrangers et les vieilles brocanteuses de bijoux et de soieries avaient un facile accès. Bonaparte avait interdit l’entrée du Palais à toute cette horde mercantile, dépenaillée et sordide ; il avait fait formellement promettre à sa femme de ne plus recevoir à l’avenir ces échappés des Ghetto parisiens ; Joséphine jurait de ne le plus faire, pleurait un peu ; mais le lendemain elle trouvait encore moyen de faire monter à elle ces bazars ambulants et de vivre à sa guise dans la poussière des paquets défaits, curieuse d’inventorier les soieries orientales, les broderies persanes, les fichus et les pierreries d’occasion, charmée par le chatoiement des couleurs, par la finesse des tissus, par l’imprévu des déballages.
« On lui apportait sans cesse, dit M de Rémusat, des bijoux, des schalls, des étoffes, des colifichets de toute espèce ; elle achetait tout, sans jamais demander le prix, et, la plupart du temps, oubliait ce qu’elle avait acheté. Dès le début, elle signifia à sa Dame d’honneur et à sa Dame d’atours qu’elles n’eussent pas à se mêler de sa garde-robe. Tout se passait entre elle et ses femmes de chambre, qui étaient au nombre de sept ou huit. Elle se levait à neuf heures ; sa toilette était fort longue ; il y en avait une partie fort secrète et tout employée à nombre de recherches pour entretenir et même farder sa personne. Quand tout cela était fini, elle se faisait coiffer, enveloppée dans un long peignoir très élégant et garni de dentelles.
Ses chemises, ses jupons étaient brodés et aussi garnis. Elle changeait de chemise et de tout linge trois fois par jour et ne portait que des bas neufs. Tandis qu’elle se coiffait, si les Dames du Palais se présentaient à sa porte, elle les faisait entrer. Quand elle était peignée, on lui apportait de grandes corbeilles qui contenaient plusieurs robes différentes, plusieurs chapeaux et plusieurs schalls ; c’étaient en été des robes de mousseline ou de perkale très brodées et très ornées : en hiver, des redingotes d’étoffe ou de velours. Elle choisissait la parure du jour, et, le matin, elle se coiffait toujours avec un chapeau garni de fleurs et de plumes et des vêtements qui la couvraient beaucoup. Le nombre de ses schalls allait de trois à quatre cents ; elle en faisait des robes, des couvertures pour son lit, des coussins pour son chien
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