La lessive en Nivernais
Posté par francesca7 le 15 avril 2013
trempé pendant un ou deux jours, puis on le dépose par couches successives dans un cuveau (le ťnot) installé sur un trépied de 80 cm ; on sort les cendres du cendrier г, situé au-dessous de la plaque du four, et on les étend en une couche de 10 à 15 cm d’épaisseur sur le charrier (ou charrouée), drap étendu sur le cuveau. Pour couler la buée, l’eau bouillante est versée sur les cendres, traverse le linge et s’écoule du cuveau « goutte à goutte », par la pisserotte (en paille tressée) 2, dans la tinotte, petite cuve placée sous le ťnot ; on fait chauffer à nouveau l’eau de lessive et l’on recommence l’opération pendant trois ou quatre heures, parfois pendant toute la journée. Le lendemain, le linge est porté à la fontaine ou au ruisseau, savonné puis frotté à coup de brosse, tapé et rincé dans l’eau.
La méthode était assez primitive. La pièce où l’on lavait — la cuisine — « était envahie à la fois par la fumée venant de l’âtre et par la buée : c’était une atmosphère un peu étouffante et il se dégageait l’odeur fade du linge qui a longuement bouilli » 3, et cette humidité lourde détériorait les murs 4. D’autre part, le travail des femmes — rapporter continuellement la lessive refroidie à la chaudière pour la réchauffer et la reverser au cuveau — était pénible et même dangereux, les brûlures étant très fréquentes ; la perte de chaleur était considérable — la moitié selon certains — , surtout la saponification était incomplète avec des lessives insuffisamment chauffées ; il fallait savonner le linge à nouveau pour enlever les taches et les traces jaunes, ce qui accroissait la dépense ; inversement, le linge était parfois abîmé par des lessives trop fortes (quand on se trompait sur la quantité de cendres), ou trop bouillantes 5.
Certes, le coût de l’opération est difficile à dresser. On utilisait généralement du savon blanc ou bleu marbré de Marseille, en table ou en
1. Cavité en pierre de taille mépagée sous la cheminée, que l’on retrouve dans presque toutes les maisons anciennes.
2. A Baleine, « on met dans le fond du cuveau trois ou quatre torchons dont on fait sortir les cornes par les goulottes ; en dessous de ces torchons et sur l’ouverture du goulot, on place l’os d’une mâchoire inférieure de brebis : elle sert à empêcher les torchons de s’affaisser et facilite le passage de l’eau qui doit filtrer doucement pendant douze à seize heures… » (Aglaé Adanson, ouv. cité, p. 177.)
3. R. Baron.
4. « II arrive souvent, note le sous-préfet de Clamecy, que les familles malheureuses occupent en commun de petites salles basses dans lesquelles tous les effets du ménage sont lavés, séchés, repassés, ce qui produit des exhalaisons délétères, entretient l’humidité dans le logement et devient une cause de maladie et de mort » (Mar- lière, Statistique de l’arrondissement de Clamecy, 1859, p. 120).
5. Sur les inconvénients de la méthode traditionnelle, on se reportera aux plaintes de Rouget de lisle (Notice historique, théorique et pratique sur le blanchissage du linge, op. cit., p. 60-63) : la méthode est « longue, coûteuse, empirique, embarrassante et le plus souvent inapplicable pour les pauvres ménages, qui ne possèdent qu’une ou deux chambres » ; le linge prend une couleur jaune-brunâtre et « l’emploi répété de la lessive colore et salit de plus en plus le linge à mesure qu’on multiplie les arrosages ».
Annales {2A » année, mars-avril 1969, n° 2) 10
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