Les huguenots quittent plus facilement la ville que la campagne ; les protestants disparaissent de la Normandie ou e la Picardie car ils habitaient tous Dieppe, Rouen, Caen, Amiens… Au contraire, l’émigration des villes poitevins, béarnais ou cévenols est très limitée, les huguenots même « opiniâtres » préférant rester sur leur terre de naissance et de survie, quitte à pratiquer le culte du Désert avec tous ses dangers.
en raison des difficultés d’un exode interdit par le roi, les huguenots partent vers le Pays du refuge le plus proche : ainsi les habitants du Dauphiné, des Cévennes, du Bas Languedoc (Nîmes, Alès…) de Provence s’enfuient vers Genève et l’Allemagne par les Alpes qui offrent des cachettes, des complices et des passeurs (chers). Ceux de Saintonge, d’Aunis, du Poitou, du Béarn et surtout de Normandie et de Picardie, sont majoritaires en Angleterre et aux Provinces Unies. Les hommes seuls partent plus facilement quand ils sont célibataires, ou partent les premiers quand ils veulent trouver un logement et un emploi avant de faire venir le reste de la famille.. si celle-ci n’est pas arrêtée ou disloquée. Les citadins qualifiés, marchand ou artisans du textile, du cuir, du livre, artistes, avocats, notaires, médecins… partent davantage que les pauvres ou les agriculteurs, parce qu’ils ont moins d’attaches à la terre, plus d’argent pour payer un voyage long et dangereux (donc très cher), et plus de chances de réussir leur exil.
Les Pays du refuge ont largement profité de cet apport. Surtout quand ils l’ont encouragé, comme le Brandebourg, où les huguenots du Midi, bénéficiant de logements gratuits et d’exemptions fiscales, défrichent les terres, drainent les marécages, plantent du tabac et des légues, ouvrent des manufactures de drap, de passementerie, de verre, de papier, d’huile, à Berlin et aux alentours. Comme le Grand Electeur, le landgrave Charles de Hesse-Cassel leur offre des villes et des villages pour relancer l’économie de ce petit Etat allemand. Enfin, ils ont amélioré l’industrie de la soie, du papier, de l’horlogerie, de l’orfèvrerie en Angleterre, et celle des « indiennes » à Genèves, sans compter la banque, même si ces Etats ont moins favorisé leur implantation.
Après 1730, le flux migratoire huguenot se ralentit : les protestants, bénéficiant d’une relative tolérance, ne quittent plus la Franc. Ceux qui sont partis dans les Pays du refuge s’assimilent vite tout en gardant la tradition d’apprendre la langue d’origine, de donner à leurs enfants des prénoms français et de garder la mémoire de leurs ancêtres persécutés.
Dans la deuxième moitié du 18ème siècle, de 3 000 à 5 000 autres émigrants quittèrent la France tous les ans, la plupart pour y revenir plus tard. Mais d’autres aussi, des paysans alsaciens et lorrains pour coloniser l’est de l’Europe ; ainsi, près de 20 000 Lorrains s’installèrent dans le seul Banat entre 1744 et 1787 ; 35 000 colons partirent vers la Hongrie aux mêmes dates ; plusieurs centaines vers la Galicie et autant vers la Lituanie, ainsi que dans la Russie du sud.
L’émigration citadine est pourtant plus importante, visant les milieux aristocratiques et intellectuels étrangers, l’influence française mettant à la mode les perruquiers, modistes, couturières, précepteurs, maîtres de danse, maîtres d’armes et philosophes français (Diderot à Saint Petersbourg, Voltaire à Berlin). Elle est aussi commerciale pour environ 4 000 Français. Il y en a en Espagne (900 à Cadix, beaucoup à Sévile, à Malaga, à Valence, à Alicante, à Carthagène et à Santander). Plus de 100 négociants marseillais vivent en permanence dans les Echelles du Levant, Liban, Syrie. Des Bordelais sont à Amsterdam et à Hambourg. Un auteur contemporain donne des chiffres : 30 000 Français à Londres, 15 000 en Italie, 10 000 dans l’Empire ottoman, 8 000 en Espagne, 600 au Portugal (moitié du 18ème siècle).
Les étrangers en France sont moins nombreux. Notons d’abord les négociants et commissionnaires, surtout établis dans les ports ; en 1777, Bordeaux compte 52 Allemands, 33 Britanniques, 17 Hollandais. En 1787, à Marseille, il y a 209 négociants protestants étrangers, dont 157 suisses. Paris compte beaucoup de Hollandais, d’anglais, et de Genevois pour la banque, ce qui explique l’arrivée de Necker au ministère de Louis XVI.
Voyons maintenant les trois autres colonies étrangères. Les juifs sont dispersés. Dans le Sud-Ouest, on les appelle « Portugais », étant les anciens « marranes », plutôt mal que bien convertis, installés depuis le 16ème siècle : ils sont 3 000 à Saint Esprit, faubourg de Bayonne, et 2 500 à Bordeaux, dont la communauté socialement très diversifiée se grossit au 18ème siècle des juifs d’Avignon et d’Allemagne. En 1734, il y a 5 000 juifs à Bordeaux. Beaucoup sont riches et puissants, ce qui leur vaut la protection des autorités bordelaises qui les savent indispensables à la prospérité de l’Aquitaine. La communauté d’Avignon reste à 2 000 âmes entre le 16ème et le 18ème siècle, date à laquelle de nombreux juifs du papae sont partis pour Marseille, Paris ou Bordeaux, bénéficiant de la tolérance nouvelle. La communauté juive d’Alsace et de Lorraine (surtout à Metz), passe de 100 à 3 913 familles en deux siècles, c’est-à-dire à 20 000 personnes.
Beaucoup partent aussi vers La Rochelle, Rouen et surtout Paris dont la communauté augmente sérieusement. Les juifs ashkénazes s’installent dans le quartier du Temple ; les « portugais » un peu partout. Comme à Bordeaux, la majorité est très modeste, et la minorité est constituée par des banquiers, des intellectuels et des bijoutiers. En 1789, ils sont 500 à Paris et environ 40 000 dans toute la France.
Les irlandais, majoritairement soldats, sont nombreux depuis la fin de la guerre de Cent Ans mais, après la défaite de Jacques Stuart II à Limerick, contre Guillaume III qui le chasse d’Angleterre, 12 000 officiers et soldats fidèles au roi déchu, avec plusieurs centaines de femmes, d’enfants et de religieux, s’installent en France. Les militaires sont incorporés dans les régiments français ou espagnols ; les prêtres vont dans des séminaires irlandais de Paris, de Nantes et de Bordeaux où s’installent aussi des négociants, certains devenant riches et célèbres comme les Walsh à Nantes et les Hannessy à Cognac. Les émigrants suisses sont moins connus et très variés : on trouve des négociants et des banquiers à Marseille, à Paris et à Lyon ; des pâtissiers des Grisons dans toutes les villes. La colonie la plus forte étant celle des « gardes suisses », obligés de vivre près du roi à Paris, à Rueil, à Courbevoie, à Argenteuil, à Saint Denis, à Vanves, à Meudon, à Viroflay, au Chesnay… et à Versailles.
Pour en finir avec les étrangers employés par Louis 14, n’oublions pas qu’il avait fait venir de Venise des gondoliers qui se sont installés près du grand canal de Versailles afin d’entretenir la flottille du roi ; des verriers qui ont contribué au lancement de la Manufacture de Saint Gobain. Colbert a aussi offert des ponts d’or aux techniciens métallurgistes de Bohème, aux spécialistes de la soie milanais.
En conclusion, les étrangers en France ont été beaucoup moins nombreux que les Français à l’étranger. Sans compter les huguenots au 18ème siècle, environ 200 000 Français sont hors de France chaque année, en grande majorité dans les pays proches et, souvent, avec l’espoir de ne pas y séjourner longtemps.