Les Belles Lettres de la Bourgogne
Posté par francesca7 le 9 avril 2013
Adoptons pour évoquer l’histoire des Lettre en Bourgogne, la règle du jeu de rôles, qui permet d’en faire ressortir la relative unité. Le contexte de référence étant la cour des ducs – qui employaient d’ailleurs « une armée » de copistes et calligraphes, miniaturiste et relieurs – faisons endosser à chaque écrivain, anonyme, méconnu ou célèbre le costume d’un personnage type : le chroniqueur (historien), l’orant (religieux), le chantre (auteur lyrique), le clerc ( savant) et le bouffon (amuseur).
: le chroniqueur
Au « grand siècle » du duché, les Valois aiment à gagner des chroniqueurs qui relatent, plutôt en panégyristes qu’en moralistes, les événements marquants de leur règne : Philippe de Commynes, conseiller et chambellan du Téméraire et Olivier de la Marche, poète à ses heures, sont les plus célèbres de ces « historiens » (à noter que tous deux sont passés au service du roi Louis XI) ; ils eurent toutefois un digne prédécesseur en la personne de Georges Chastellain, membre du conseil privé de Philippe le Bon, chevalier de la Toison d’or et auteur d’un éloge d’icelui. Autre grande figure de la littérature médiévale, Christine de Pisan dédie à Philippe le Hardi sa Mutacion de fortune, qui lui commande la rédaction d’un portrait du roi défunt son frère : Livre des Fauets et bonnes mœurs du Charles V (1404) est l’œuvre de la première historienne de France.
Chacun a sa manière, les chroniqueurs s’inspirent des épopées légendaires relatées dans les chansons de geste, à l’époque de la chevalerie, où souvent le bourguignon s’oppose au carolingien. Dans Girart de Roussillon (13ème siècle), on raconte dans un dialecte entre le français et le provençal les mésaventures du fondateur du monastère de Vézelay face à Charles Martel).
Il est possible de faire remonter le genre de la chronique fort loin dans l’histoire de la Bourgogne. Dictés par César sur le mont Beuvray dans un latin parfait, les Commentaires sur la guerre des Gaules, destinés à faire connaître sa victoire à Rome, font partie de la grande littérature. Et aussi des livres de chevet de Charles le Téméraire, qui a demandé à Jean du Chesne de les lui recopier.
Les hauts faits d’armes ne sont pas indispensables. Les « petits faits vrais », cela nourrit aussi la matière de romans. Par exemple, Restif de la Bretonne, littérateur fécond, né à Sacy près de Vermenton ; son œuvre souvent licencieuse est fondée sur du vécu, et constitue une précieuse source de renseignements sur la société de latin du 18ème siècle. Dans la vie de mon père, il décrit la condition paysanne dans son pays. Plus tard, Jules Renard (1864-1910) QUE L’ON CONNAIT POUR SON INCONTOURNABLE Poil de carotte, a fait preuve d’un sens aigu de l’observation dans ses Histoires naturelles, développé au cours de ses long séjours dan le Morvan. On y trouve aussi de jolies formules : « Le Papillon », ce billet doux plié en deux, qui cherche une adresse de fleurs. L’enfant adoptif de Gevrey Chambertin Gaston Roupnel, fidèle interprète du terroir, enseignant et romancier (Nono), occupa la chaire d’histoire bourguignonne à la faculté de Dijon en 1916.
Dernier et authentique chroniquer celui là, Georges Duby qui recherchait dans le Mâconnais, autour de Cluny bien sûr, les tracés de ces Français de l’an mille.
: L’orant
Le lien se fait tout seul. Au Moyen Age, l’étude, l’écriture et la diffusion du savoir se réalisent autour des églises et des monastères : l’abbaye de St-Germain d’Auxerre a ainsi joué le rôle d’une véritable université au temps de Charlemagne (les étudiants viennent de l’Europe entière) et, un peu plus tard c’est de l’abbaye de Cluny que rayonne la vie intellectuelle (trait d’union : Odon, qui enseigna à St Germain avant de devenir abbé de Cluny).
Saint Bernard domine le 12ème siècle de sa personnalité et de son génie : il réunit à Clairvaux une bibliothèque remarquable (une partie est conservée à Dijon) et nous apparaît lui-même comme l’un des grands écrivains de son temps. De sa plume, il nous reste des Lettres, des sermons et quelques traités, tout en latin. De la Renaissance on retient les noms de Pontus de Thiard, né au château de Bissy sur Fley en Mâconnais, grand philosophe et théologien, membre de la Pléiade et de Théodore de Bèze, originaire de Vézelay, humaniste rallié à la Réforme, auteur de nombreux ouvrages dogmatiques dont une Vie de Calvin, à qui il avait succédé à Genève puis à la tête du protestantisme en France.
Le 17ème siècle est dominé en Bourgogne par la grande figure de Bossuet, dijonnais de naissance, prélat, théologien et orateur (Les Oraisons funèbres). « Qu’il y ait un seul moment où rien ne soit, éternellement rien ne sera » a-t-il écrit, stoïque, dans son Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même.
Le père Lacordaire, né à Recey sur Ource dans le Châtillonnais, fut prédicateur de Notre Dame. Il s’associa à Lamennais pour créer un mouvement catholique libéral. C’est lui qui, en 1843, rétablit en France l’Ordre des dominicains. Notre contemporain Christian Bobin, auteur dans la tradition catholique d’un fervent Le Très Bas consacré à François d’Assise, est né au Creusot qu’il n’a jamais quitté.
: Le chantre
D’une vogue durable, le conte de La Châtelaine de Vergy marque les débuts du roman d’amour courtois. On y raconte dans une langue recherchée la noble et terrible histoire d’un chevalier aimant en secret la nièce du duc de Bourgogne. La littérature médiévale se prolonge dans les Mystères et les Passions – forme populaire du théâtre – Mystère de Jason, Mystère d’Hercule et Passion d’Autun. Passion de Semur ont connu un vif succès.
On peut citer le nom du poète Jehan Régnier, né et mort à Auxerre (1393-1465), envoyé par Philippe le Bon en mission secrète à Rouen auprès des Anglais et sauvé par sa femme alors que Charles VII avait ordonné sa mise à mort. Ses rondeaux inspireront François Villon. Dans la poésie française, Lamartine tient assurément une grande place. Son influence dans le mouvement romantique au 19ème siècle a été considérable ; parmi les méditations, il exalte les charmes de Saint Point et de Milly, la terre natale qu’il retrouve « en exil » sous le Second Empire (La Vigne et la Maison – 1857). Plus introvertie et secrète, Marie Noël, grand prix de poésie de l’Académie française en 1962, fut longtemps la voix d’Auxerre, aux accents de l’innocence. Autre femme écrivain, universellement connue, Colette a évoqué son enfance à Saint Sauveur sur un ton souvent moins châtié, mais ô combien ardent. De son côté, la terre nivernaise a été chantée par Achille Millien, poète qui recueillit aussi les traditions morvandelles, et par Maurice Genevois. Le romancier Henri Vincenot (1912-1985), ne à Dijon, a évoqué avec tendresse la vie des paysans bourguignons pendant l’entre deux guerre (La Billebaude). Le vagabond La Gazette nous entraîne dans Le Pape des escargots auprès des hauts lieux de Bourgogne.
: le clerc
tout imprégné d’humanisme, le 16ème siècle a connu avec Guy Coquille, né à Decize, un célèbre jurisconsulte qui écrivit « Les Coutumes du pays et duché de Nivernais ». Au siècle suivant, plutôt teinté d’absolutisme, le grand ingénieur militaire Vauban fut aussi un écrivant de talent, comme en témoignent ses « Oisivetés » et son « Projet d’une dame royale ». Les Lumières ont sans conteste pénétré la province. Tandis que l’académie de Dijon récompensait un mémoire de Rousseau, Jean Bouhier, président au Parlement, correspondant avec toute l’Europe, écrit « La Coutume de Bourgogne » ; Charles de Brosses, conseiller et qui deviendra à son tour Premier président en 1775, se révèle un conteur plein devie dans ses « Lettres familières écrites d’Italie », qui réjouiront Stendhal (dont celle-ci : L’amour de la patrie, vertu dominante des grandes âmes, me saisit toujours à l’aspect d’une bouteille de vin de Bourgogne).
Enfin, Buffon, l’enfant de Montbard, a joué un rôle de premier plan dans le rayonnement de la science française. Les immortels ont accueilli avec des applaudissements son fameux Discours sur le style (« Le style, c’est l’homme »). La tentation encyclopédique s’est de nouveau manifestée à travers le grand œuvre du lexicographe Pierre Larousse, né à Toucy dans l’Yonne et, dans une moindre mesure, par les travaux du Dijonnais Adolphe Joanne, auteur des premiers guides touristiques (Voyages en France).
Parmi les savants lettrés de notre siècle on retiendra surtout les noms du Tournusien Albert Thibaud et, critique littéraire à l’influence immense, et de Gaston Bachelard en un sens son successeur, enseignant à Dijon dans les années 1930 et auteur de L’Eau et les Rêves – ainsi que d’études sur la Siloë de Roupnel. Pour clore la rubrique sur le même thème de l’humaniste, on peut invoquer le normaline Romain Rolland, un sage né à Clamecy, à qui l’on doit Jean Christophe et Colas Breugnon.
Le bouffon
Que serait la cour sans cette figure ? Philippe le Bon adorait les récits assez gaillards et un peu paillards, dans le ton des fabliaux. Les Cent Nouvelles, nouvelles qui lui furent offertes relèvent de ce registre. Le dernier historiographe de la maison de Bourgogne, Jean Molinet (1435-1507) a exercé le meilleur de sa verve dans des pièces parodiques à la fantaisie débridée, pleines de savoureuses trouvailles (Faitz et Ditz). A la Renaissance, on ne craint pas d’attaquer la religion chrétienne avec les armes du rire. C’est le cas de Bonaventure des Périers, d’Arnay le Duc, ami de Clément Marot, conteur malicieux, souvent mordant et satirique. Etienne Tabourot, lui avec ses Escraignes restitue dans toute sa familiarité la vie de Dijon. Sous Louis XIV, c’est Bussy-Rabutin qui donne, en particulier dans la correspondance avec sa cousine Mme de Sévigné (qui fit, durant sa jeunesse, quelques séjours au château de Bourbilly), un tableau juste et parfois cocasse de la société de son temps. Le règne suivant voit s’exercer le talent de Crébillon père avec des tragédies chargées d’horrifiques rebondissements et le vilain génie d’Alexis Piron, auteur de la truculente Métromanie ainsi que de Poésies à l’esprit très mordant.
Le Beaunois Xavier Forneret a prolongé le lyrisme lamartinien dans la couleur noire, avec un humour extravagant qui plus fort au pape du surréalisme André Breton (« Bâtissez un pont de papier de soie et jetez-y le bien que font les hommes, il tiendra bon »). Après que Claude Tillier, auteur de Mon oncle Benjamin s’est illustré dans le pamphlet anticlérical, relais fut pris par l’humoriste Franc-Nohain, né à Corbigny, pour se moquer des mœurs de la bourgeoisie nivernaise. D’origine bourguignonne, le comédien-écrivain Jacques Copeau, rénovateur du théâtre, quittant la compagnie du Vieux-COLOmbier pour poser sa troupe des « Copiaus » à Pernand-Vergelesses (ce nom leur est donné par les vignerons ») à relancé entre les deux guerres l’esprit des fabliaux et de la commedia d’ell’arte. Nul doute que son Théâtre populaire (1942) est en point de mire dans l’action de Dominique Pitoiset à la tête du Nouveau Théâtre de Bourgogne.
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