Les migrations intérieures de la France
Posté par francesca7 le 6 avril 2013
(saisonnières, temporaires, définitives)
les sources pour les étudier sont malheureusement réduites : citons les listes nominatives des dénombrements, comme les listes de bourgeoisie, ou les documents relatifs à un groupe donné (par exemple, les engagés pour les Antilles), les prêtres, les « congés et translations de domicile » enregistrés par les greffes des élections (uniquement pour le 18ème siècle), enfin les passeports, mais ils sont rares, et les « registres des étrangers » ; sans oublier les actes de mariage et de décès qui indiquent les lieux de naissance, utilisables surtout après le code Louis, voire les contrats de mariage déposés chez les notaires.
La sédentarité des ruraux d’explique par l’attachement à leur « pays » d’origine, par le besoin de préserver, sinon d’accroître les biens familiaux, et par la nécessité des solidarités, villageoises ; de même, par l’impossibilité de trouver un travail en ville, et aussi, la crainte d’être isolé, seuls, condamné à la déchéance comme tous ces vagabonds qui errent dans les campagnes ou se réfugient dans les ville sen temps de crise (épidémie, famine…) et qui attirent à la fois la peur et la pitié. Le Languedoc et la Normandie, par exemple, ont connu dans la seconde moitié du 18ème une telle poussée démographique, que le flot des errants s’est amplifié.
Les ruraux effectuent pourtant de nombreux petits déplacements : pour se marier en évitant l’endogamie (qui est fort en montagne) et en laissant l’aîné choisir d’abord (les cadets doivent souvent partir plus loin). Généralement l’épouse quittait son village pour suivre son mari (sauf dans les Pyrénées). Pour travailler aussi, quand on n’a pas de terre : les métayers, les brassiers, se déplacent en famille ; les ouvriers agricoles et les cadets de famille partent seuls.
Il existe aussi des migrations saisonnières et temporaires, essentiellement parmi les hommes. Dès le 15ème siècle, les gens de Queyras vont travailler en Provence ou en Italie, les Auvergnats en Espagne. Ces déplacements de courte durée, ne sont bien connus qu’à partir de 1808, quand les préfets notent dans leurs rapports annuels, qu’environ 100 000 montagnards descendent dans la plaine pour deux ou trois mois ; les plus nombreux aident aux travaux agricoles : vendangeurs et surtout moisonneurs ; les autres vivent d’un petit commerce, comme les portefaix, les exposants, les marchands qui viennent aux foires de Bordeaux de mai à octobre.
Quand le déplacement s’allonge, entre sept et neuf mois, commençant le plus souvent automne et s’achevant au début de l’été, pendant la « morte saison agricole », les montagnes se vident de leurs hommes qui descendent dans le plat pays pur être porfaix. Charbonniers, forgeurs, colporteurs, voir, pour les Briançonnais, maîtres d’école. Certains, non spécialisés, sont manœuvres et font un peu tous les métiers ; tels les « pionniers » du Livradois qui défrichent les forts, draînent les marécages, curent les fossés et les canaux (en Sologne, par exemple). D’autres sont spécialistes dans la réparation du métal, comme les chaudronniers auvergnats. Qu’ils exercent des activités de force et souvent rebutantes, des artisanats ou du commerce de détail itinérant, ces migrants parcourent, pendant cette longue mauvaise saison, des distances importantes.
Les travailleurs du bâtiment, eux, métier oblige, partent de mai à octobre et s’installent durablement dans les villes. Les maçons et tailleurs de pierre originaires du Limousin (et surtout de la Creuse) sont si nombreux, qu’à Paris on à finir par désigner tous les maçons comme « limousins ! Profitant de la croissance urbaine et de l’interdiction de construire des maisons en bois dès le milieu du 17ème siècle, ils s’installent par milliers à Paris (6000 en 1698, 12 000 en 1764, 20 000 en 1790, soit un tiers de la population adulte de la Haute Marche, leur pays d’origine). Ils partent à pied, en groupe, et vivent dans des chambrées inconfortables louées par des « marchands de sommeil », originaires aussi de leur pays. Lyon, Bordeaux, Nantes, Rouen profitent de ces maçons saisonniers.
Les colporteurs, ou porte-balles auvergnats, dauphinois ou savoyards transportent, seuls ou avec un mulet, une caisse à tiroir d’environ 40 à 60 kg à travers toute la France, la Suisse, l’Allemagne l’Espagne. On retrouve aussi en Espagne des habitants de tout le Sud-Ouest, plaine et montagne, parti s pour quelques mois. Les Auvergnats ne reviennent d’Espagne que tous les trois ou quatre ans, l’espace de deux ou trois mois, puis repartent.
Ces migrations temporaires ou saisonnières s’expliquent par la difficulté de vivre en montagne, mais aussi par les besoins des régions d’accueil en matière de petit commence, d’artisanat et construction ; aussi, les emplois plus nombreux et les salaires plus élevés offerts par les villes (le double pour les maçons) qui vont permettre aux migrants de revenir se marier au pays natal en ayant accru leur patrimoine. Ceci s’ils avaient la chance de revenir car, le migrant étant plus exposé aux accidents et aux maladies, bon nombre d’entre eux finissaient leur vie à l’hôpital urbain. Leurs épouses, restées au village la plupart du temps pour travailler la terre et élever les enfants, devaient affronter la responsabilité de collecter la taille et de jouer le rôle de consul dans certains villages car la moitié des hommes étaient partis.
Les migrations définitives sont plus rares. Au 17ème siècle, seule l’Alsace, fortement dépeuplée et dévastée par la guerre de Trente Ans, la peste et la famine, nécessite encore une véritable colonisation qui se fera par 13 000 Suisses, des Allemands, des Suédois, des Savoyards, des Champenois et des Lorrains ; la Franche-Comté, elle aussi es très touchée et recevra des immigrants suisses et savoyards essentiellement.
Dès le 16ème siècle, mais surtout au 18ème siècle, on constate, en revanche, un début d’exode rural en direction des grandes villes comme Bordeaux, Narbonne, Rouen, Lilles, Lyon, Marseille et paris, qui ont chacune leur domaine réservé, leur bassin démographique, qui s’élargit avec les années. La région fournit les immigrants non spécialisés (servantes, journaliers), les artisans du bois (tonneliers, charpentiers de la vallée de la Garonne), du textile, de l’habillement, du cuir. Des régions plus lointaines offrent des travailleurs à spécialité ; les maçons du Limousin, les chaudronniers auvergnats, les pâtissiers commingeois à Bordeaux ou suisses des Grison dans toutes les villes…
On estime à 50 000 ces ruraux s’installant tous les ans dans les villes, mais nombre de ces immigrants ne restent pas toujours ; par exemple, un tiers des Rouennais nés ou non dans la ville en partent ; un couple de Versaillais sur deux quitte la ville royale avant leurs dix ans de mariage. Ces immigrants ruraux quittent leur première ville d’accueil pour une autre, plus grande et plus attractive (souvent Paris) ; ou parce que leur installation a échoué ; ou, s’ils sont marginaux ou délinquants, afin d’échapper aux autorités ; ou, enfin, pour les filles-mères pour cacher leur grossesse et accoucher loin de chez elles.
L’immigration urbaine est donc liée à la croissance des villes, en particulier Versailles et Paris. Entre 1660 et 1717, Versailles passe de quelques centaines d’habitants à 30 000, venus de toute la France du nord-ouest, mais aussi des diocèses de Limoges et de Bourges (pays d’origine des travailleurs du bâtiment), de Savoie (pays des domestiques). Paris passe de 200 000 habitants vers 1500 à 300 000, en 1565 et 480 000 en 1715, et recrute partout. N’oublions ni Brest ni Rochefort, qui de villages, deviennent des villes par la volonté de Colbert. Si Toulouse plafonne après 1650, Bordeaux s’accroît considérablement après 1740 et Marseille après la peste de 1720, attirant les habitants de la vallée du Rhône, de la Haute-Provence, et surtout de la côte de Toulon à Gênes.
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