Ariège et la Révolution française
Posté par francesca7 le 17 mars 2013
Les débuts de la Révolution furent marqués par la difficile création de l’entité départementale et par la mise en place de nouvelles administrations avec une houleuse définition des chefs lieux de département, de district, de canton, de commune qui laissera longtemps des traces.
Les Conventionnels votèrent tous la mort du roi mais, localement, les enthousiasmes ne se manifestèrent vraiment ni d’un côté ni de l’autre. En fait, comme partout, la Révolution a coïncidé avec une période de crise de subsistance et l’a fortement aggravée par l’état de guerre, particulièrement pesant ici, les réquisitions se multipliant aux approches de la frontière et du front des combats. Comme ailleurs, certaines réformes heurtèrent la masse de la population, telles l’état civil et le divorce ou le calendrier révolutionnaire qui, non seulement effaçait des repères chrétiens millénaires mais encore bouleversait le rythme des foires et marchés et le travail des ouvriers qui avaient moins de décadis que de dimanches. Il en est d’autres qui touchèrent au plus profond du monde pyrénéen.
Le séquestre puis la vente des biens d’Église et des biens d’émigrés amenèrent un immense transfert de propriétés, surtout en montagne où l’alliance forge- forêt- estives attira les plus grandes convoitises. Les bénéficiaires furent de toute évidence les bourgeois et les paysans aisés qui firent ainsi de grandes fortunes ; un tiers des « notables » ariégeois du Premier Empire appartiendront à cette bourgeoisie d’acquéreurs de biens nationaux. La seule motivation de cet investissement était un souci de rentabilité qui ne pouvait s’accommoder de l’existence des droits d’usage qui étaient, eux, la condition de survie des populations. La misère ou la révolte s’annonçaient.
La tradition pyrénéenne favorisait un héritier pour ne pas avoir à partager un patrimoine souvent bien maigre et cet héritier, devenu chef de famille, était le garant tout puissant de la cohésion de la « maison » et de sa force de défense face aux agressions extérieures. La Révolution établit une égalité absolue entre tous les enfants qui déstructuraient cette famille traditionnelle et on chercha toutes sortes de moyens de tourner la loi.
On avait touché aux relations séculaires avec l’Espagne. Il y avait bien eu des guerres autrefois, mais les pays pyrénéens n’avaient pas été impliqués dans leurs hommes et, grâce aux lies et passeries, la vie frontalière n’avait pas cessé. Face à la Patrie en danger, ces relations étaient désormais devenues trahison. Malgré cela, malgré la menace de peine de mort, il y eut toujours sur la frontière un petit peuple allant et revenant en toute innocence et ignorance apparentes des évènements, des voituriers et des colporteurs continuant leur commerce, des faucheurs et des moissonneurs partant faire leur saison, des parents visitant leurs parents outre monts et le statut neutre de l’Andorre limitrophe favorisait cette « innocence ». La tradition de vie frontalière compta évidemment pour beaucoup dans le peu de zèle mis à défendre la patrie et les effectifs de « volontaires » fondaient dès leur levée. Pendant la guerre d’Espagne (mars 1793-juillet 1795), les désertions furent généralisées, favorisées par la proximité des champs de bataille (les hommes rentraient facilement chez eux), par le caractère montagneux du pays qui relativisait le danger d’une
invasion et permettait de se cacher et par le voisinage de l’Espagne qui faisait de certains déserteurs des émigrés temporaires. Les désertions s’amplifiaient au temps des travaux agricoles ; les soldats revenaient travailler la terre quelques jours après leur levée, au vu et au su de tout le monde, y compris des municipalités qui déclaraient infructueuses les recherches de déserteurs.
Le refus de l’armée, le refus des réquisitions, le culte réfractaire lui aussi favorisé par la proximité d’une frontière-refuge, tout cela entretint une agitation permanente. Il y eut toujours, même en pleine terreur, des chansons, des attroupements, des cris, des refus de port de cocarde, des arrachages d’arbre de la liberté qui étaient des formes de résistance passive plus que de rébellion, un refus de transgresser des valeurs séculaires plus qu’une opposition idéologique aux principes de la Révolution. Le tout favorisé par le peu d’empressement des autorités locales à sévir.
Extrait du livre La vie en Ariège au XIXe siècle – ch.1
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