L’art de se connaître soi-même
Posté par francesca7 le 17 mars 2013
Jacques Abbadie
L’Art de se connaître soi-même
1715 (pp. 17-432). MONSEIGNEUR LE VICONTE DE SIDNEY,
Ministre & Secrétaire d’Etat de Leurs Majestés Britanniques, Connêtable du Château de Douvre, & Gouverneur des Cinq Ports, &c. Viceroy pour Leurs Majestés du Royaume d’Irlande.
MONSEIGNEUR,
Quoi que l’Art de se Connoître Soy-même soit digne de l’étude
EPISTRE
ET de l’application des hommes les plus illustres glorieusement occupés, ce n’est pas sans quelque scrupule que je prens la liberté, en vous offrant cet Ouvrage, de dérober au public quelqu’un de ces prétieux momens que vous lui consacrez dans les fonctions importantes de vôtre ministere.
On sait MONSEIGNEUR, quelle est vôtre application à servir vôtre Prince & vôtre patrie ; & les obligations que l’Angleterre a à vôtre zéle, et à vôtre fermeté sont encore trop fraiches dans la mémoire des hommes, pour en renouveler le souvenir.
DEDICATOIRE
On se souvient des services memorables que vos glorieux Ancestres ont rendu à l’Etat : mais on se souvient encore mieux de ceux, que vous lui avez vous même rendus dans la plus importante occasion qui sera jamais, & de quelle manière vous vous êtes dévoüé, par manière de dire, pour vôtre patrie, en exposant vôtre personne, & vôtre fortune au danger de la plus triste destinée, pour la secourir.
On n’ignore point quel rang vous tenez en toutes manières entre ces Heros de la Grande Bretagne, dont la sainte magnanimité n’a point voulu
EPISTRE
abandonner leur patrie à un éternel esclavage, à la fureur de la superstition & à ces effroyables calamitez, dont on trouvoit cent mille présages vivans en la personne des François refugiez, & de trop funestes experiences dans l’Irlande et dans l’Angleterre.
Dieu qui avoit marqué certaines bornes à l’affliction des gens de bien, & au triomphe des méchans, & qui préparoit toutes choses pour ce grand ouvrage, vous attacha de bonne heure d’affection & de zéle à ce glorieux liberateur, que la Providence avoit suscité pour la delivrance de cette Nation, & en
DEDICATOIRE
quelque sorte pour la consolation de toutes les autres, afin qu’une fidelité comme la vôtre répondit à une vocation comme la sienne, & que vous servissiez à ses desseins, comme il servoit lui-même aux desseins du Tout-puissant.
On sait MONSEIGNEUR, quelles preuves vous lui avez données aprés cela de vôtre zéle & de vôtre attachement ; & quelles marques vous avez receu de son affection & de sa confiance, & comment vous avez trouvé le moyen de séparer la faveur de l’envie, par la moderation & la sagesse avec laquelle vous la soutenez, & l’usage genereux que vous en faites.
Jugez MONSEIGNEUR, s’il ne me doit pas être bien doux, de pouvoir me flater la pensée d’avoir quelque part à l’honneur de vôtre bienveillance, & de vôtre protection, & si je ne dois pas conserver prétieusement la mémoire de tous les témoignages de vôtre bonté, qui peuvent me confirmer dans cet agreable sentiment.
Je prieray Dieu, MONSEIGNEUR, qu’il vous affermisse par une vie longue & une santé confirmée dans le poste important, où vous continüez de rendre à l’Etat des services si dignes de sa réconnoissance, & du souvenir de la postérité ; & que les grands succés dont Dieu couronne l’heureux regne de leurs Majestez & benit vôtre ministere, ayant aussi peu de bornes qu’en la passion pleine de respect & de zéle avec laquelle je suis,
MONSEIGNEUR,
Vôtre trés humble & trés
obéissant Serviteur.
Abbadie.
Jacques Abbadie, né en 1654 à Nay et mort le 25 septembre 1727 à Marylebone, est un pasteur et théologien protestant français.
Abbadie consacra les dernières années de sa vie, entre l’Angleterre et la Hollande, où étaient imprimés la plupart des ses ouvrages, à l’écriture, à la prédication et à l’accomplissement – pas trop assidu, car il était souvent absent de son décanat – des devoirs ordinaires de son bénéfice. Ainsi, s’étant rendu en Hollande en 1720 pour y voir sa Vérité dans les presses, il resta, après cela, plus de trois ans à Amsterdam, pendant la préparation du Triomphe et d’autres ouvrages, ne retournant en Irlande qu’en 1723. Ses revenus de doyen de Killaloe étaient si modestes qu’ils ne lui permettaient pas d’engager un secrétaire. Après que l’archevêque d’Armagh, Hugh Boulter, eut fait appel en vain au lord lieutenant d’Irlande, Lord Carteret, en son nom, il lui donna une lettre d’introduction pour l’évêque de Londres, le Dr Edmund Gibson, Abbadie quitta alors l’Irlande pour s’établir à Marylebone, où il s’occupait d’une nouvelle édition de ses Œuvres, dont l’annonce avait déjà paru, lorsqu’il s’éteignit dans son domicile dans sa soixante-treizième année.
Son grand œuvre, qu’il avait commencé à l’âge de vingt-deux ans, intitulé Traité de la vérité de la religion chrétienne, dont les deux volumes parurent à Rotterdam en 1684 et furent continués, en 1689, par le Traité de la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, produisit une profonde sensation : « Il y a fort longtemps, écrivait Bayle, qu’on n’a fait un livre où il y ait plus de force et plus d’étendue d’esprit, plus de grands raisonnements et plus d’éloquence. » Bussy mandait à la marquise de Sévigné : « Nous le lisons à présent et nous trouvons qu’il n’y a que ce livre à lire au monde. » Et elle lui répondait : « C’est le plus divin de tous les livres ; cette estime est générale. Je ne crois pas qu’un homme ait jamais parlé de la religion comme cet homme-là. » Élève de Jean La Placette, nourri de Pascal, un peu trop étranger à l’histoire comme tous les cartésiens, il a eu de la foi la conception intellectualiste de son temps, mais il insiste de préférence sur les raisons psychologiques et morales de ses convictions.
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