La vie monacale de Bourgogne
Posté par francesca7 le 16 mars 2013
La première abbaye de Bourgogne, Moutiers, fut fondée dans l’Auxois à l’époque franque par l’un des parrains de Clovis, Jean de Reôme. C’est un disciple, Sigon, qui fonde à son tour l’abbaye de St Seine, non loin des sources dédiées à Sequana. Ainsi, les sites sacrés gaulois se font chrétiens avec les débuts du monachisme et la montée en puissance des évêques. Les ordres religieux – en premier lieu celui de Saint Benoît – se multiplient à partir du 10ème siècle. La Bourgogne avec Cluny s’est alors trouvée à l’avant-garde de ce mouvement mystique et, au tournant du 11ème et du 12ème siècle, elle conduit le renouveau avec Cîteaux et Saint bernard.
La lumière de Cluny
La fondation par Bernon, en 910, d’un couvent sur les terres mâconnaises, du duc d’Aquitaine, Guillaume le Pieux, marque l’origine d’une importante réforme monastique. L’époque est propice ; les débuts de la féodalité et l’instabilité du pouvoir royal provoquent un mouvement mystique et un afflux d’hommes vers les cloîtres. A Cluny, le retour à l’esprit de la règle bénédictine est marqué par l’observance des grands principes – chasteté, jeûnes, obéissance, silence (la communication se fait par gestes dans un langage de signes visuels) – et les offices divins occupent la plus grandes partie du temps.
Saint Benoît et la règle bénédictine.
Né en Nursie et après avoir vécu en ermite, Benoît s’installe en 529, à la tête d’un groupe de moines sur le mont Cassin, au Sud de latium, en Italie, à l’emplacement d’une ancienne colonie romaine. D’anachorète il devient cénobite (deux termes d’origine grecques qui signifient l’un « s’en est allé » et l’autre « vit en communauté »). S’inspirant des préceptes contemplatifs de saint Basile et de Cassien, et les adaptant à l’esprit occidental plus porté vers l’action, il élabore ses « Constitutions ». Ces conseils, d’où sortira la fameuse « règle bénédictine » qui deviendra la norme universelle en matière de vie conventuelle, témoignent d’une grande modération : si les jeûnes, le silence et l’abstinence sont prescrits, les mortifications et les pénitences douloureuses sont sévèrement condamnées. Saint Benoît accorde au travail manuel une grande place dans l’emploi du temps des moines, « les ouvrier de Dieu » (6 à 8 heures, contre 4 à la lecture et 4 à l’office divin). Elu à vie, l’abbé a une autorité absolue car il tient « aux yeux de la foi, la place du Christ ».
La règle recommande l’autarcie, suggérant que « le monastère soit construit de sorte que le nécessaire, à savoir l’eau, le moulin, le jardin, soit à l’intérieur et que s’y exercent différents métiers ».
Le succès de la règle bénédictine est dû à la volonté des rois carolingiens d’imposer un modèle monastique – dès 670 le concile d’Autun le fait adopter par de nombreuses abbayes. A cet égard, Benoît d’Aniane en a si bien fait valoir auprès de Louis le Pieux la sagesse, la simplicité, la mesure et la raison pratique qu’en 817, le fils de Charlemagne l’étend à tout l’empire.
Depuis 1964, Benoît est le patron de l’Europe.
La grande innovation consiste dans l’indépendance de Cluny à l’égard de tout pouvoir politique. En vertu de la charte de fondation, l’abbaye est directement rattachée au Saint Siège, ce qui en fait lui assure, étant donné l’éloignement du pouvoir pontifical, une autonomie absolue. Elle sera appelée d’ailleurs « seconde Rome ». L’abbatial édifiée en 1088 sera longtemps la plus grande église de la chrétienté. L’expansion de l’Ordre clunisien est extrêmement rapide, si l’on songe qu’au début du 12ème siècle, en Europe, 1450 maisons comptant 10 000 moines en dépendaient. Parmi les filiales bourguignonnes, citons les abbayes ou prieurés de St Germain d’Auxerre, de Paray le Monial, de St Marcel de Châlon, de Vézelay, de Nevers (St Sever et St Etienne), de La Charité sur Loire. Une telle floraison s’explique en grande partie par la personnalité et la pérennité des grands abbés de Cluny (tels saint Odon, saint Maïeul, saint Odilon, saint Hugues, Pierre le vénérable), préparant ensemble leur succession et secondés par des hommes de haute compétence qui s’appuient eux-mêmes sur une « base » sans faille. Georges Duby parle de « l’esprit d’équipe au coude à coude » qui règne entre les moines noirs.
Durant deux ou trois générations, Cluny est donc au cœur d’un véritable empire. Personnage considérable, plus puissant parfois que le pape dont il est le guide et le conseiller, l’abbé est consulté par les rois pour trancher les différends, régler les litiges. Les richesses s’accumulent (chaque filiale paie une redevance) et, au sommet de la pyramide, l’abbé adopte le train de vie d’un grand seigneur, au pont de se faire construire une résidence particulière. Peu à peu le pouvoir suprême n’est plus exercé d’une façon efficace.
Cîteaux et Saint Bernard
En lutte contre le relâchement des moines clunisiens s’élève la voix de saint Bernard. Prodigieuse destinée que celle de ce fils d’un chevalier du duc, né au château de Fontaine près de Dijon qui, cherchant la miséricorde de Dieu, se présente à l’âge de 21 ans avec une trentaine de compagnons au monastère de Cîteaux alors sous l’abbatiat d’Etienne Harding, en 1112.
Bernard de Clairvaux
Trois ans plus tard, il va s’installer aux limites de la Bourgogne et de la Champagne, dans un pays pauvre, la vallée de l’Absinthe, qui devient « Clairvaux » (la claire vallée). Bernard promu abbé, accomplit là une œuvre gigantesque. Dénué de tout et de faible constitution, il se heurte au début à de grandes difficultés : rigueur du climat, maladie, souffrances physiques dues à une existence de renoncement.
Il impose à ses moines, comme à lui-même, les plus durs travaux « mangeant légumes à l’eau et buvant de l’eau claire, couchant sur un bat-blanc, ou sur un pauvre grabat, ne se chauffant pas l’hiver, portant jour et nuit les mêmes vêtements d’humble laine ». Le travail retrouve la place centrale qu’il avait perdue avec Cluny. Selon Benoît, il est une autre façon de prier qui de plus permet la subsistance matérielle. Par ailleurs, du fait que le travail manuel est réservé au serf dans le système féodal, il constitue pour le moine une pénitence symbolique. Enfin, il contient une dimension fraternelle puisque l’ouvrage de chacun sert à tous (progressivement, toutefois, ce sont les frères convers qui auront la charge des travaux manuels).
Règle cistercienne
Saint Bernard a su définir radicalement la règle bénédictine promulguée avant lui et la faire appliquer à la lettre. Il interdit de percevoir des dîmes, de recevoir ou d’acheter des terres, et il impose à ses moines de Clairvaux – et par extension à tous les moines de l’ordre Cistercien – des conditions de vie draconiennes. L’emploi du temps d’une journée est scandé avec une précision rigoureuse ; levés entre 1 h et 2 h du matin, les moines chantent matines, puis laudes, célèbrent les messes privées, récitent les heures canoniales (prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies), assistent à la messe conventuelle. Les huit offices liturgiques, un nocturne et sept diurnes, représentent ainsi 6 à 7 heures, et le reste du temps est partagé entre le travail manuel, le travail intellectuel et la lecture des textes sacrés. La nourriture, frugale, n’a d’autres fins que de reconstituer les forces (d’où le réfectoire, terme issu de « refaire »). Le repos est de 7 heures ; les moines couchent tout habillés dans un dortoir commun, en accès direct avec l’église.
Chef de la communauté, l’abbé vit avec ses moines dont il partage les repas, préside aux offices, au chapitre, aux réunions ; il est assisté d’un prieur, qui le remplace lorsqu’il doit s’absenter. L’influence de l’intransigeant Saint Bernard est telle que la règle gagne les autres ordres ainsi que le clergé séculier. Il est aussi l’un des fondateurs de la mariologie (sermons sur la Vierge Mère) : dans la Divine Comédie, c’est Bernard qui guide Dante vers la Vierge en arrivant à l’Empyrée.
Règles d’aujourd’hui
Comme Saint Bernard, les Cisterciens n’ont pas joué qu’un rôle dans le domaine de la foi. Extrêmement organisés et efficaces, les moines blancs ont su tirer parti des terres les plus ingrates, souvent au fond des vallées (les lieux étaient choisis pour leur ressemblance avec le désert des premiers ermites), en défrichant et en construisant digues et canaux. Ils sont ainsi passés maîtres en hydraulique, dans les techniques viticoles, et savants en oeunologie comme en métallurgie. La belle aventure a failli se terminer plus d’une fois, avec l’abandon à l’économie de marché, le succès des ordres mendiants, puis le système de la commende où l’abbé, nommé, s’isole progressivement de la communauté, et la révolution enfin, lorsque l’ordre est interdit, et les monuments de Cîteaux détruits (comme ceux de Cluny, qui disparaissent avec l’ordre) par des spéculateurs sans états d’âme. Depuis le milieu du 19ème siècle, on assiste à une réapparition.
L’organisation de l’ordre reste fondée sur la « charte de charité » sorte de lien unissant les diverses abbayes, toutes égales entre elles. Actuellement, 3 000 cisterciens trappistes (de N.D de la Trappe, réformée par Rancé au 17ème siècle), gouvernés
par un abbé général résidant à Rome, sont répartis à travers le monde dans 92 abbayes ou prieurés, dont 15 en France, périodiquement, les abbés de l’ordre se réunissent en chapitre général. On dénombre en outre environ 2 000 moniales dans 61 abbayes (le première, celle de Tart près de Cîteaux, ayant été fondée en 1130 grâce à l’abbé Harding) ou prieurés, dont 12 en France, conduites par le même abbé général, mais dont le chapitre général est distinct.
En 1998, des moines venus du monde entier ont participé aux célébrations du 900è anniversaire de Cîteaux. De nos jours, le troupeau de caches appartenant à l’abbaye lui permet de fabriquer près de 900 000 fromages par an, ce qui lui assure des revenus réguliers (c’est bien le mot).
Pour apprécier la qualité architecturale des édifices cisterciens en Bourgogne, on ne manquera pas la visite de la grande abbatiale de Pontigny, non plus que celle de l’abbaye quasi complète de Fontenay, l’on souhaite mieux connaître les conditions actuelles d’existence des moines soumis à d’autres ordres, il est possible de pénétrer dans l’abbaye bénédictine de la Pierre qui Vire (Morvan) et, en version plus « exotique » dans le temple bouddhiste de Kaguy Ling à La Boulaye. La communauté œcuménique de Taizé, près de Cluny, est quant à elle devenue un nouveau phare pour la jeunesse chrétienne.
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