Poser des « mais » aux portes des filles
Posté par francesca7 le 3 mars 2013
Dans les villages de l’est de la France, « le mai », c’est l’arbre individuel, l’arbre d’amour
Dans les années 1940, au soir du 30 avril, traditions de nos campagnes obligent, les garçons du village se réunissaient pour préparer la pose des « mais » destinés à toutes les filles qui sont « bonnes à marier » ou tout au moins à être courtisées.
Ces « mais » étaient le symbole de l’arrivée des beaux jours, de la reprise des activités, contrastant avec le calme de l’hiver. Je m’en vais vous raconter cette belle tradition…. D’après les écrits du livre de l’instituteur de ma fille : M.Monin paru dans « Une école de son village » :
Dans nos campagnes, dans les années 1940, les jeunes sont nombreux à Dompierre en Morvan (21). Les garçons de la commune se divisent alors en trois équipes indépendantes, non rivales pour se partager le « travail » dans les différents hameaux. Un groupe sévit à Genouilly, un autre à Dompierre et Jadron et le troisième à Courcelotte et Villars. Il faut savoir que ces jeunes gens devaient honorer une bonne vingtaine de filles…
Les « mais sont de jeunes charmes repérés à l’avance dans la forêt.
Selon les années et le courage des garçons, leur diamètre varie de la taille du poignet à celle d’un bon piquet de clôture. En année normale, le feuillage d’un vert tendre commence à se développer. Le choix du charme provient vraisemblablement du fait qu’il pousse très tôt, qu’il symbolise la santé et la vigueur (ne dit-on pas ; se porter comme un charme…) et que son nom s’associe à « charmer » (les filles).
En attendant que le « pays » s’endorme, les histoires vont bon train durant cette veillée généralement bien arrosée. Au milieu des éclats de rire, on se remémore les bons coups des années précédentes et on prépare les nouveaux. A la nuit noire, les équipes partent abattre les ‘mais » avec leurs cognées et leurs lanternes. Il faut ensuite les apporter à leur destinataire, discrètement et sans trop les abîmer. Les arbres sont alors transportés à dos d’homme, ou parfois, quand le vois est loin, sur un chariot, jusqu’aux abords du village ; les « mais » sont alors dressés contre les maisons des demoiselles et quelquefois attachés aux gouttières si le vent menace de les faire tomber. Lorsque le printemps se montre en avance et que les lilas blancs sont épanouis, leurs branches odorantes garnissent aussi le « mai », au grand désespoir des quelques rares propriétaires de ce bel arbuste. Ceux-ci, parfois, offrent à boire aux garçons pour qu’ils ne massacrent pas leurs arbres ou, au contraire, montent « la garde » pour les préserver. Tout cela se passe dans un silence relatif…
Profitant de ce rassemblement de forces vives, le village fait l’objet d’un grand nettoyage de printemps. Tout ce qui traîne le long des rues est amené sur la place ; brouettes, charrettes, outils engins agricoles, barrières, volets, tas de bois, pots de fleurs, etc… Le lendemain, chaque propriétaire tente de retrouver son bien dans cet amoncellement hétéroclite. Cela lui donne l’occasion de mettre un peu d’ordre dans sa cour.
Comme l’ambiance de la nuit n’est pas vraiment mélancolique, il se trouve toujours un gars pour suggérer quelques farces… Boucher une cheminée avec une planche de tombereau ou autre chose, retourner un rouleau agricole, démonter un balancier de pompe, attacher la poignée d’une porte à un seau d’eau ou à une bille de bois placée en travers de l’huis, changer deux ânes d’écurie (de préférence quand leurs maître ne s’adressent plus la parole), etc… Plus subtil est de laisser croire qu’une farce a été faite alors qu’il n’y a rien, les intéressés cherchent alors vainement, pendant plusieurs jours, ce qui a bien pu leur arriver.
Le dimanche suivant la pose des « mais » est celui de leur « arrosage ». Chaque équipe se rend tour à tour chez les filles qu’elle a décorées. Si un garçon a des vues particulières sur la fille de la maison, il entre le premier, sans faire de politesse à ses camarades, comme étant « en pays conquis ». C’est une façon de faire connaître ses prétentions, ce qui ne fait pas toujours plaisir aux parents de l’intéressée…
Les filles offrent à voire et des gâteaux tandis que le « mai » sera débité en bois de feu et en rames à pois. Selon le nombre de demoiselles à visiter et l’amabilité de la réception, on peut rester fort longtemps en leur charmante compagnie. Si bien que, les bonnes années, un seul dimanche ne suffit pas à tout arroser et que cela en nécessite un deuxième.
Il est à noter qu’une jeune fille ayant été trop volage ou trop désagréable au gré des garçons, au cours de l’année, peut se voir promettre un « mai » en « groettier » (cerisier sauvage) qui donne des fruits pour tout le monde ou un « gratte-cul » (églantier). Ce qui fait dire aux mauvaises langues que certaines jeunes filles se lèvent de très bonne heure le matin du 1er mai afin de vérifier l’essence de leur « mai ». Dans ces cas-là, il est préférable que cet arbuste insignifiant disparaisse car il peut faire autant de bruit, dans le village, qu’une série complète de casseroles …
L.DUGARREAU.
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