Le chèvrier de nos ancêtres
Posté par francesca7 le 3 mars 2013
LE CHEVRIER
(petits métiers, paru en 1890)
Le chevrier à Paris, n’a rien de commun avec celui du Val d’Andorre. Il ne vient pas de si loin, il n’est pas si vieux et, s’il était sorcier, cela m’étonnerait beaucoup. Le voyez-vous au milieu de ses chèvres au poil brun, à la carcasse anguleuse, à l’oeil curieux et lascif : elles mettent volontiers les cornes en avant, quand on les veut traire.
Si l’on me demande quelle est la propriété du lait de chèvre, je répondrai que c’est de coûter meilleur marché que le lait de vache à la campagne et plus cher à
Paris. Pourquoi ? Je n’en sais rien. D’ailleurs connaissez-vous quelqu’un qui en boive, du lait de chèvre ? Moi je ne connais personne ; mais beaucoup de gens doivent se désaltérer ainsi, car le nombre de ces animaux augmente dans Paris.
Le chevrier a dû quitter les hauteurs et les solitudes de Montmartre pour conduire lui-même ses élèves dans nos rues. Ce pasteur, semblable au Ménalque de Virgile, souffle dans un chalumeau et en tire des accents tout à fait rustiques. Il y a des moments où, en traversant la place de l’Europe, je me crois transporté en pleine églogue : Dic mihi, Damoeta, cujum pecus ? an Melibaei ? C’est vraiment un métier nouveau.
Autrefois les ânesses à clochettes remorquaient à peine un cabri solitaire ; à cette heure, les ânesses ont presque disparu pour faire place aux troupeaux hélants que vous savez.
La chèvre, à Paris comme au village, reste fantasque, capricieuse et indépendante. Sur le bord du trottoir elle n’a pas plus peur d’une voiture, lancée au galop, que d’une avalanche, sur l’arête d’un abîme. Aussi fait-elle le désespoir de son chevrier, qui échange souvent son pipeau contre un fouet… c’est fâcheux, parce qu’au milieu de Paris le pipeau est bien couleur locale.
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