Marchande de Café ou « Petit noir »
Posté par francesca7 le 27 février 2013
l’histoire des métiers de Paris : leur origine, leur quotidien, leur évolution au fil du temps, leurs us et coutumes, leurs statuts. Insolites, oubliés, raréfiés ou disparus, découvrez ou redécouvrez-les.
LE CAFE
Le café arrive en Europe aux alentours de 1600 introduit par les marchands vénitiens. Dès 1615, il était régulièrement consommé à Venise (où le Caffè Florian, fondé en 1720, est le plus ancien d’Italie encore en fonctionnement) en provenance d’Égypte.
On conseille au pape Clément VIII d’interdire le café car il représente une menace d’infidèles. Après l’avoir goûté, le souverain pontife baptise au contraire la nouvelle boisson, déclarant que laisser aux seuls infidèles le plaisir de cette boisson serait dommage. Le café est très vite prisé des moines pour les mêmes raisons qu’il l’est des imams : il permet de veiller longtemps et de garder l’esprit clair. Les musulmans pendant les croisades interdisent l’exportation de leurs plants de Coffea arabica. En 1650, un pèlerin musulman à La Mecque, Baba Budan parvient à ramener sept plants en Inde, qu’il plante à Mysore et dont les descendants subsistent encore aujourd’hui.
Les négociants hollandais et anglais qui avaient pris goût au café lors de leurs voyages en Orient, le font connaître dans leurs pays. Vers les années 1650, le café commence à être importé et consommé en Angleterre, et des cafés ouvrent à Oxford et à Londres. Les cafés deviennent des lieux où les idées libérales naissent, de par leur fréquentation par des philosophes et lettrés. Les pamphlets et libelles sont distribués dans les cafés. En 1676, cette agitation incite en Angleterre le procureur du Roi à ordonner la fermeture des cafés, citant des crimes de lèse-majesté contre le roi Charles II et le royaume. Les réactions sont telles que l’édit de fermeture doit être révoqué. Les flux d’idées alimentés par le café modifieront profondément le Royaume-Uni. On y compte plus de deux mille cafés en 1700. La célèbre compagnie d’assurances Lloyd’s of London est à l’origine un café fondé en 1688 : le Lloyd’s Coffee House.
Dès 1644, un aventurier et poète vénitien, du nom de Pietro della Valle avait apporté quelques balles de café à Marseille. Au milieu du xviie siècle, des marchands de Marseille qui avaient appris à apprécier le café au Levant commencèrent à ramener des balles de café. En quelques années, un groupe de marchands et de pharmaciens s’organisèrent pour importer du café d’Égypte. En 1671, le premier café marseillais ouvrait ses portes à une clientèle rapidement nombreuse. Mais il faut attendre 1669 et l’arrivée en grand appareil de l’ambassadeur de la Sublime Porte, Soliman Aga, auprès de Louis XIV, pour que la mode de la consommation du café soit lancée dans la capitale. Recevant avec faste ses invités de marque dans son appartement parisien, il leur offre dans une mise en scène digne des Mille et Une Nuits du café à la turque. Toutes les grandes dames se piquèrent de curiosité pour ce personnage haut en couleur qui se fit brocarder par Molière dans le Le Bourgeois gentilhomme.
À Paris, le premier café parisien est fondé par un Arménien du nom de Pascal en 1672 près du Pont-Neuf, qui fonda ensuite un autre café en 1685 à Londres. Pascal avait aussi fondé le premier café en France vers 1665. Le café Procope est le deuxième café à ouvrir dans cette ville en 1686. On y invente une nouvelle manière de préparer la boisson : en faisant percoler de l’eau chaude dans le café moulu retenu par un filtre. Il innova aussi en acceptant les femmes. Le café devient très prisé durant le Siècle des lumières. Voltaire consomme jusqu’à douze tasses de café par jour et possède une collection de cafetières. À la veille de la Révolution, Paris compte plus de deux mille cafés.
MARCHANDE DE PETIT NOIR
(D’après Paris qui crie : petits métiers, paru en 1890)
C’est au coin des ponts, à l’orée des faubourgs, sur les grands passages d’ouvriers que l’on trouve la pauvre vieille femme, avec son réchaud et sa grosse bouillotte, ou bien encore sur les quais, aux rampes où dévalent les débardeurs. Pour un sou, elle réchauffe de son café, vulgo petit noir, le travailleur allant de bonne heure à l’ouvrage, le chiffonnier qui rôde aux heures sombres et revient le matin avec son butin, et le pauvre diable sans domicile qui a passé la nuit sous les ponts.
Indifférente au fleuve humain qui passe auprès d’elle, hypnotisée dans ses vieux châles, elle rêve… à quoi peut-elle bien rêver ?
Et pourtant, que de choses elle a vues, la marchande de petit noir ! que de types divers l’ont coudoyée et quelle moisson d’observations philosophiques et immorales elle a pu faire ! Voici le trottin, le nez au vent, cherchant l’occasion d’abandonner parents et atelier, le valet sans place affalé sur un banc, le provincial naïf suivant machinalement le cours de la Seine, l’aigrefin en quête d’un bon coup, le philosophe à la poursuite… d’une idée, le flâneur, monocle à l’oeil, à la poursuite d’une fine bottine, et la désespérée l’oeil égaré, allant se jeter à l’eau.
Immobile, la marchande voit tout cela et bien d’autres choses ; mais les révolutions peuvent gronder, les ministères tomber, tout lui est égal, comme disait Horace, pourvu qu’elle vende son petit sou de café.
’La marchande de petit noir.’
A Ludovic d’Arthies
J’admire cette femme chassieuse, détraquée, alors qu’enfouie dans la guérite de ses vieilles loques, elle recueille cette perle fauve qui miroite et tremblote à la cime de son pif, écrase sur son linge la boue grenelée du tabac et attise les braises du fourneau sur lequel mijote le petit noir, le cafetiau des pauvres.
Cette bibasse grosse, grande, forte en mie, gît affaissée au tournant d’un pont, près d’une pissotière, verdâtre, trouée au bas d’une bouche, bouillonnée par la fleur du chlore, comme par le blanc muguet, les lèvres de certains malades. Parfois, cette femme dresse devant elle un petit tréteau de bois et empile les uns à côté des autres des carrés de pain d’épices, blondasses et mous, des piles de noisettes creuses, des sucres d’orge, des croquets, des nèfles semblables aux anus noirâtres des chiens, des poires boueuses, des gâteaux ronds, aux chairs épaisses, pareilles à des éponges jaunes, ajoutez à cet attirail un parasol, rouge et fané, des tasses opaques, des cuillers en fer blanc, un gueux qui charbonne sous les pieds de la vieille, une fausse platebande de cheveux qui s’effilent sur le front rayonné de crevasses, tel est l’éventaire, telle est la femme qui, dès l’aube, verse le café aux maçons et donne du feu aux noctambules qui regagnent leur lit, le cigare au bec.
A cette heure, le quai est désert; çà et là seulement quelques hommes qui se lèvent, le ventre vide, ou rentrent se coucher, le ventre plein.
Puis ce sont, ici les tombereaux nocturnes qui passent lourdement avec leur escorte de sapeurs aux tabliers de cuir, et là un écrase-pierre qui ronchonne, sur l’autre rive, aplatissant la caillasse mouillée du macadam. Au loin, deux ouvriers cheminent en riant, un monsieur trébuche, navré par les pitoyables élans de la drôlesse qu’il vient de quitter, un caniche flaire la pierre du parapet, se tourne, lève le gigot, lance quelques gouttes et, remuant la queue, s’en va, au hasard du trottoir, cherchant une flaque à laper ou un os à mordre.
Sept heures sonnent, la chaussée commence à s’emplir de monde, la brume s’est déchirée, le ciel n’a plus ses teintes de paille et de rose, mais il arbore le bleu tendre des turquoises, les haquets sautent, les fardiers gémissent et tressaillent, les fiacres courent, clopin-clopant, les femmes en bonnet s’arrêtent et devisent, la pissotière chante doucement, le café de la vieille est épuisé, elle pare sa marchandise pour l’après-midi, met des toques de papier blanc à l’un des bouts de ses sucres d’orge, époussette ses hideuses mangeailles et rit au nez d’un pochard qui bouffonne et la veut baiser.
La ville est debout. Les enfants vont sortir; au mitan du jour, ils s’enfonceront dans la gorge les affreux suçons à l’absinthe et leur coeur se brouillera, et, le soir, au dîner, ils se refuseront à manger l’insipide panade!
O vieille hommasse, vendeuse de petit noir, joie des matins qui s’éveillent! ta tâche est accomplie; tu as réchauffé les matineux pauvres et tu as rompu la monotonie des ménages par les hurlements des mioches que l’on gifle pour n’avoir pas voulu, grâce à tes friandises, avaler l’assiette de soupe chaude.
J.-K. Huysmans
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